L’Europe va-t-elle prendre une initiative spectaculaire pour débloquer les négociations israélo-palestiniennes qui sont au point mort depuis des mois ? La question se pose après les déclarations de Bernard Kouchner au Journal du Dimanche (20 février) et les informations en provenance de Bruxelles selon lesquelles le chef de la diplomatie française et son collègue espagnol, Miguel Angel Moratinos, tenteraient de convaincre l’Union européenne de fixer un délai de dix-huit mois comme échéance pour la reconnaissance d’un Etat palestinien, même en l’absence d’un accord avec Israël sur le tracé des frontières.
« On peut envisager la proclamation rapide d’un Etat palestinien et sa reconnaissance par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières, a déclaré Bernard Kouchner. Je serais tenté par cela. Je ne suis pas sûr d’être suivi, ni même d’avoir raison ».
Ce ne serait pas la première fois qu’une date serait fixée pour la création d’un Etat palestinien. George W. Bush lui-même, qui passait à juste titre pour un ami de la droite israélienne, avait été le premier président américain à parler d’un Etat palestinien à côté d’Israël, et il avait même cité la fin de son mandat comme horizon possible.
La « feuille de route »
La solution des deux Etats est contenue dans la « feuille de route » que s’est donnée la communauté internationale dès 2003 en créant le Quartet (Etats-Unis, Russie, Union européenne, ONU). Mais jusqu’à maintenant, il était entendu que la création d’un Etat palestinien devait être l’aboutissement d’une négociation réussie entre les Israéliens et les Palestiniens portant sur les frontières et la fin de la colonisation dans les territoires occupés, le statut de Jérusalem, la question des réfugiés. D’autre part, le langage officiel voulait que la création d’un Etat palestinien soit subordonnée à la condition que cet Etat soit « viable ».
La condition sera-t-elle remplie dans dix-huit mois ? C’est possible, en tous cas en ce qui concerne la Cisjordanie. Sous la direction du premier ministre, Sala Fayyad, un ancien fonctionnaire du FMI et de la Banque mondiale, connu pour son intégrité, l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas mène une politique active de construction d’institutions et de développement économique qui commence à porter ses fruits. Bernard Kouchner le souligne dans son entretien avec le Journal du Dimanche. L’initiative européenne laisserait cependant entière la question de Gaza, gouverné par le Hamas. Cependant le ministre français des affaires étrangères, qui a convaincu Miguel Angel Moratinos, ancien représentant de l’UE au Proche-Orient, de se joindre à lui, peut espérer que la fixation d’une échéance poussera les différents protagonistes à reprendre le dialogue. La menace d’une reconnaissance unilatérale fonctionnerait alors comme la dissuasion nucléaire : on la brandit pour ne pas avoir à s’en servir. Elle pourrait aussi encourager à persévérer Salam Fayyad qui, il y a six mois, s’est donné deux ans pour réussir. Elle fournirait en outre un espoir à la population palestinienne qui croit de moins en moins à la solution des deux Etats. « La question qui se pose est la construction d’une réalité », a dit Bernard Kouchner.
Plus de questions que de solutions
Toutefois la proclamation d’un Etat palestinien sans accord avec Israël poserait autant de problèmes qu’elle en résoudrait : quelle souveraineté ? Quelle reconnaissance internationale et par qui ? Quelle capitale ? Quelles frontières ?
Les Israéliens ont réagi négativement aux informations venues de Bruxelles, notant qu’une solution « imposée » serait contraire au processus de paix. Ce à quoi les Européens auraient beau jeu de répondre qu’il n’y a actuellement ni paix, ni processus. Face à cette impasse, il peut être judicieux de tenter de déplacer les lignes. Les Occidentaux ont l’expérience de la proclamation unilatérale d’un Etat : au Kosovo. Mais la reconnaissance du Kosovo sans l’accord des Serbes a divisé et continue de diviser l’Union européenne, alors que les Etats-Unis étaient favorables à l’indépendance de l’ancienne province de Serbie. Il n’est pas sûr que l’idée de Bernard Kouchner jouisse du même soutien auprès des Américains, sans qui, qu’on le veuille ou non, rien n’est possible au Proche-Orient.