Un Nobel de la paix incontestable

Chaque semaine, l’équipe de Boulevard-Extérieur commente ici un événement de politique internationale.

Il est des prix Nobel de la paix dont il vaut mieux oublier le nom car ils n’ont pas fait honneur à leur titre. Nous ne citerons pas de nom mais certains ne le méritaient certainement pas au vu de leurs actes passés ; d’autres se sont montrés indignes de la confiance des jurés du Parlement norvégien. Il n’en va pas de même cette année. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) est un Nobel de la paix incontestable. Ce n’est pas tellement son action en Syrie qui doit lui valoir cette distinction. Après tout, elle n’en est qu’à ses débuts et elle peut très bien échouer. L’actualité de la lutte contre l’utilisation des armes chimiques ne doit pas occulter une réalité plus durable et plus profonde. Contrairement à ce qu’il a déclaré avec un brin de provocation, Bachar el-Assad ne méritait pas le prix Nobel de la paix parce qu’il a contribué à éliminer les armes chimiques dans un pays qui n’était pas signataire de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993, après les avoir utilisé contre sa propre population ! Il faut un cynisme sans borne pour se laisser aller à de telles déclarations.

Non, l’OIAC méritait le prix Nobel de la paix parce que depuis qu’elle a vu le jour en 1997, après l’entrée en vigueur de la Convention elle a été signée et ratifiée par 189 Etats ; elle a permis la destruction de cinquante-sept mille tonnes d’armes chimiques et les plus gros détenteurs notamment les Etats-Unis et la Russie, continuent à en anéantir, même si c’est à un rythme que l’OIAC souhaiterait plus rapide. En 1925, les Etats avaient tiré les leçons de la Première guerre mondiale pendant laquelle l’ypérite, ou gaz moutarde, avait été tristement expérimentée. Mais le protocole de Genève n’avait pas empêché l’Allemagne hitlérienne d’utiliser à nouveau des armes chimiques et de gazer les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur.

Avec la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et la création de l’OIAC chargée d’en surveiller la mise en œuvre, la communauté internationale s’est doté d’instruments permettant sinon d’empêcher l’utilisation de ces armes non-conventionnelles, en tous cas d’en limiter et d’en punir l’usage. Dans les années 1990, la diplomatie française a joué un rôle très actif dans le succès de la négociation sur l’interdiction des armes chimiques. La Convention de 1993 a une vaste portée. Elle interdit la recherche, la fabrication, le stockage et l’utilisation des armes chimiques et elle interdit aux pays signataires d’aider des tiers à s’en procurer. Seuls quatre Etats n’ont pas signé la Convention (Corée du Nord, Egypte, Angola, Sud-Soudan). Et deux l’ont signée mais ne l’ont pas ratifiée (Birmanie et Israël).

Il faut donc se féliciter de la décision du Comité du Parlement norvégien qui attribue chaque année le prix Nobel de la paix. Ce faisant, il n’a pas pris un grand risque en couronnant une organisation internationale. C’est une tendance qui semble se confirmer puisque, pour la deuxième année consécutive, le Nobel de la paix revient à une institution plutôt qu’à un, ou plusieurs individus. En 2012, c’était l’Union européenne. Mais il serait malvenu de s’en plaindre.