Le révérend Jesse Jackson, qui était mardi soir 4 novembre à Chicago pour assister au triomphe du sénateur de l’Illinois, avait été candidat à la nomination démocrate en 1984, 1988 et 2004. Sans grandes perspectives de succès parce qu’il se présentait comme le représentant de la communauté noire. C’est l’écueil que Barack Obama a évité pendant toute sa campagne. Il a tout fait pour ne pas apparaître comme le candidat des Noirs mais comme un candidat comme les autres se soumettant aux suffrages de tous les Américains.
L’héritage de Lincoln
Barack Obama a toujours pris soin de prendre ses références dans l’histoire des Etats-Unis, dans l’œuvre des pères fondateurs, dans la tradition d’Abraham Lincoln, le président républicain qui a aboli l’esclavage en 1863. Il a lancé sa campagne à Springfield (Illinois), le fief de Lincoln et il n’a pas manqué de le citer dans son discours de victoire. Depuis les années 1930 et la coalition du New Deal autour de Franklin Delano Roosevelt, le rapport entre Démocrates et les Républicains s’est inversé. Pendant des décennies, le Grand Old Party a représenté le Nord abolitionniste face au Sud démocrate, esclavagiste et raciste. Au moins dans les Etats du Nord, les Démocrates sont devenus l’espoir des Noirs, du moins quand ceux-ci votaient ou a fortiori s’engageaient en politique.
"Afrocratie"
Mais Barack Obama n’est pas un Noir, descendant des esclaves africains. De père kenyan et de mère blanche américaine, il a su à la fois intégrer son être noir et le dépasser. La synthèse de cette double identité ressemble parfois à un exercice d’équilibrisme. Le président élu court le risque d’être trop foncé pour les Blancs et trop « blanc », c’est-à-dire trop intégré dans la société américaine, pour les Noirs. Il est le représentant type de cette classe moyenne noire américaine qui s’est affirmée ces dernières années. Celle que le sociologue Michael Eric Dyson appelle « l’afrocratie » par opposition à la « ghettocratie » des quartiers pauvres.
Au-delà des antagonismes
C’est un handicap car les différences de niveau et de mode de vie suscitent des haines aussi fortes que les différences raciales. C’est aussi un atout pour Barack Obama qui peut dépasser ces antagonismes, parler une langue qui s’adresse aux deux communautés en les convaincant qu’elles appartiennent à un même peuple. Ayant grandi à Hawaï et en Indonésie, il n’éprouve pas le ressentiment que ressent la plupart des Noirs à l’égard des Blancs ou vis-à-vis d’autres minorités (et aux Etats-Unis, les « minorités » seront bientôt majoritaires). C’est pourquoi il est en mesure de tenir un discours qui porte au-delà de la communauté noire - 45% des électeurs blancs se sont prononcés pour lui - et qu’il peut unifier ce qu’il y a de meilleur dans les diverses traditions.