Un accord de libre-échange « historique » mais des négociations semées d’embûches

Lancées le 13 février dernier, les négociations pour un accord de libre-échange (ALE) entre l’Union européenne et les Etats-Unis, deux géants du commerce mondial, ont-elles des chances d’aboutir ? Si des divergences profondes existent sur les questions liées à l’agriculture, l’alimentation, la santé ou encore les services culturels, les deux parties ont intérêt à dépasser ces difficultés si elles veulent peser sur l’élaboration des nouvelles règles du commerce mondial, après l’échec du cycle de Doha.

C’est un événement « historique », a déclaré Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, le 21 février devant le Parlement européen : l’UE et les Etats-Unis ont lancé le processus permettant d’ouvrir des négociations en vue d’un accord de libre-échange (ALE). Si cet accord était conclu au terme de discussions qui devraient durer deux ans, il s’agirait du plus important accord commercial bilatéral jamais négocié par l’UE.

Historique d’abord par le poids économique des deux partenaires : ensemble les Etats-Unis et l’UE représentent environ la moitié du PIB mondial (47%) et un tiers des flux commerciaux. Tandis que chaque jour, des biens et des services font l’objet de négociations bilatérales pour un montant avoisinant les 2 milliards d’euros. Selon la Commission européenne, cet accord pourrait apporter d’ici à 2027 des gains se traduisant par une hausse du PIB de 0,5% pour l’UE et de 0,4% pour les Etats-Unis, soit l’équivalent de revenus annuels supplémentaires de 86 milliards d’euros pour l’économie européenne et de 65 milliards d’euros pour l’économie américaine.

Autre élément historique : il s’agirait d’un accord « nouvelle génération » (sur le modèle de l’accord signé en juillet 2011 avec la Corée du sud) qui va au-delà du simple libre-échange et de la baisse des droits de douane. Il s’agit d’ouvrir l’accès aux marchés publics, mais aussi de supprimer des obstacles non tarifaires, qui sont très importants entre les deux rives de l’Atlantique, de créer des règles communes en matière de normes techniques et sanitaires et d’agir en faveur de la protection renforcée des droits de la propriété intellectuelle (voir à ce sujet le rapport final du « groupe de travail de haut niveau sur l’emploi et la croissance » remis le 11 février http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/february/tradoc_150519.pdf)).

C’est dans le domaine de l’harmonisation des réglementations et de la suppression des obstacles non tarifaires que cet ALE pourrait faire date. Comme l’explique la Commission européenne, « des études montrent que la charge économique supplémentaire induite par ces différences réglementaires équivaut à un droit de douane de 10%, voire 20% pour certains secteurs, alors que les droits s’élèvent habituellement à environ 4% ». D’où l’importance pour l’UE d’axer les négociations sur la suppression de ces obstacles non tarifaires comme par exemple l’harmonisation des différentes normes de sécurité ou environnementales applicables aux voitures. Un sujet sensible des deux côtés de l’Atlantique. Un an après l’ALE signé en juillet 2011 entre l’UE et la Corée, le gouvernement français a demandé, sans succès, à Bruxelles une mise sous surveillance des exportations des voitures sud-coréennes après avoir constaté une hausse sensible des exportations de véhicules sud-coréens vers la France.

Autre sujet sensible entre les Etats-Unis et l’UE : les obstacles sanitaires et phytosanitaires comme les normes de santé et d’hygiène pour les produits agroalimentaires. La Commission a annoncé vouloir négocier un « accord ambitieux » dans ce domaine qui pourrait être le plus grand sujet de discorde des futures négociations.

Pour sa part le député européen écologiste Yannick Jadot, a souligné que « des divergences profondes existent entre les deux blocs commerciaux, sur la notion de service public, les questions liées à l’agriculture, à l’alimentation et à la santé (bœuf aux hormones, OGM, indications géographiques protégées, etc.) ainsi que sur les services culturels et l’audiovisuel. Faut-il vraiment détruire notre modèle pour quelques centièmes de point de croissance ? », s’est-il demandé ?

Autre question qui risque de plomber les négociations : les plaintes croisées de l’UE et des États-Unis déposées auprès de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) contre les subventions octroyées à leurs avionneurs respectifs (Airbus et Boeing). Karel De Gucht a déclaré lors d’une audition devant le Parlement européen que ces différends seraient tranchés à l’OMC, mais cela risque malgré tout d’alourdir le climat des discussions.

Le mot de la fin reviendra aux députés européens car ce sont eux qui devront approuver l’accord si les négociations aboutissent. Au-delà des divergences, les Etats-Unis et l’UE ont besoin d’un tel accord pour relancer leur croissance et s’imposer face à la Chine. Le président Barak Obama, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et le président du Conseil européen Herman Van Rompuy ont d’ailleurs clairement affiché leurs ambitions. Dans leur déclaration commune, ils ont affirmé vouloir non seulement développer le commerce et les investissements de part et d’autre de l’Atlantique, mais également contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral.