La campagne pour les élections de juin 2009 avait soulevé un immense espoir. Même la télévision d’Etat avait demandé à une grande réalisatrice, Rakhshan Banietemad, un film sur les projets des candidats, notamment sur la place des femmes dans la société. Beaucoup de candidats apparaissent dans le film, souvent avec leur épouse, ou leur conseiller. Parfois ils sont un peu flous, et leur femme prend la parole pour préciser les choses. Les autorités n’ont pas aimé le film, il n’est pas passé à la télévision, mais beaucoup de gens l’ont vu, grâce aux copies pirates et à internet ! parce que la réalisatrice a du talent et que beaucoup d’Iraniens connaissaient ses films antérieurs, en général des mélanges de fiction et de documentaires, sur la vie réelle des citadins, les problèmes de chômage, de drogue, de mariages forcés (« Sous la peau de la ville » par exemple). Elle fait des films pour les Iraniens, et réussit à « casser le box office » bien que ses films n’aient rien des comédies qu’en général ils préfèrent. Mais les sujets qu’elle traite les intéressent. Le spectateur est frappé pourtant de ne voir dans ce film militant aucune femme qui ne soit couverte au moins d’un foulard. Le voile, il y a trente ans, leurs mères l’avaient pris pour manifester leur opposition au régime du shah. Et voilà que presque subrepticement, la pression sociale l’a collé à leur tête, et qu’on leur interdit de l’enlever… Ce qui était un symbole de dignité est devenu instrument d’humiliation puisqu’il y a quelques jours la police a présenté coiffé d’un foulard de femme un homme qu’elle avait arrêté.
Le mouvement vert
Un an après les élections, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé exactement, les sources sont soit gouvernementales soit incontrôlables. Le mouvement vert est né de ces élections. Il les a à la fois perdues – puisque qu’Ahmadinejad est resté au pouvoir – et gagnées parce que le mouvement en est sorti fortifié.
Devant les résultats proclamés, les gens n’ont pas été dupes. « Où est mon vote ? » ont-ils demandé, dans les rues et sur la toile. Le mouvement vert de Mir Hessein Moussavi et Mehdi Karoubi a recueilli des millions de signatures pour faire annuler le scrutin et mobilisé des centaines de milliers de personnes malgré la répression. Le vert n’est pas celui de l’islam, c’est le résultat d’un tirage au sort des couleurs ! Mais c’est comme un courant qui a cassé tous les barrages idéologiques, dit Ahmad Salamatian, ancien secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de Bani Sadr (le premier président de la république islamique), puis député d’Ispahan, exilé maintenant en France. Le parti du Kurdistan lui-même se verdit, et les mutilés de la guerre avec l’Irak aussi. Le vert est devenu une expression populaire pour imposer la diversité. Et ce mouvement a la chance d’avoir à sa tête un architecte, et pas un militaire. Ses partisans espèrent qu’il saura construire le rassemblement et éviter la guerre civile.
Le turban à la place de la couronne
Il y a trente ans, une révolution démocratique a eu lieu en Iran, rappelle-t-il. Mais la faiblesse des structures sociales au sortir de la monarchie a permis aux religieux d’imposer leur tutelle. Le turban a remplacé la couronne. La tutelle religieuse s’est superposée à un système présidentiel. Avec une légitimité religieuse tant que vécut l’ayatollah Khomeini, beaucoup moins depuis qu’à sa mort, en 1989, le président du Parlement Ali Hakbar Hachemi Rafsandjani fit désigner Ali Khameini, un « docte de village », qui faute d’autorité religieuse se « militarise » terriblement.
Pendant huit ans, la guerre de l’Irak a éclipsé les conflits latents qui divisaient les dirigeants comme la société. Rafsandjani tient les rênes du pouvoir ; caporal enturbanné, le commandant en chef des forces armées devient, ironise Salamatian, comme le gendarme dans les films de Zorro ! Personne n’a autant dévalorisé la tutelle religieuse, sa légitimité, que l’ayatollah Khameini. Aussi les élections de juin 2009 ont-elles été un grand moment d’ébranlement de cette tutelle, elles étaient comme une nouvelle révolution. Seuls les services de renseignement des Gardiens de la révolution sont restés soumis au pouvoir ! On avait mis des turbans de mollahs sur la tête de gens incapables de mener une discussion religieuse, et ce n’est pas pour lire tranquillement, comme le faisaient leurs pères, que les jeunes gens se réunissent dans les mosquées, mais pour participer à une entreprise de contrôle de la société.
La tension internationale
Ahmadinejad a deux machines de guerre : une pyramide du pouvoir dépourvue de tout appui sauf militaro-sécuritaire, et un jeu avec l’environnement international. La menace d’un conflit est un moyen de faire avancer la machine militaire.
C’était déjà le cas avec la résistance à l’invasion irakienne, qui a favorisé le développement d’une idéologie progressiste et nationaliste. On croit voir dans les pasdarans, les sepah, - dont le nombre est très controversé — des sortes de talibans comme en Afghanistan. C’est plus compliqué que cela, affirme Nima Rachedan, directeur du Geneva Center for Civic Society Studies. Il a fait son service militaire avec enthousiasme, croyant au grand projet du leader suprême. On enrôlait les étudiants – les lycéens même- avec de beaux discours, puis ces jeunes gens étaient envoyés pour massacrer les gens, faire la guerre en Irak.
Aujourd’hui, c’est la question nucléaire est qui déterminante dans les rapports de l’Iran avec le monde extérieur. Pour François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran, les fronts de guerre autour du programme militaire d’Ahmadinejad, qui est dans la droite ligne de celui du shah, sont nombreux et pleins de non-dit : il y a une guerre de l’ombre de l’Occident pour ralentir ce programme, une guerre des experts, une grande cause nationale pour les Iraniens, une guerre ouverte puisqu’une centrale en construction a été bombardée, une guerre diplomatique, qui apparaît parfois comme la continuation de la guerre par d’autres moyens… Toutes les options sont sur la table, y compris un conflit armé. L’Occident s’efforce de convaincre l’Iran par la carotte et le bâton. Depuis 2009, il y a cependant une nouvelle donne, avec Barak Obama, le président brésilien Lula et le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Le remplacement de George W.Bush par Barak Obama permet à l’opposition de parler avec une voix plus assurée, elle a moins besoin de faire cause commune contre l’ennemi extérieur. Devant l’enlisement du dossier, Barak Obama a compris qu’on ne pouvait pas tout régler d’un coup et qu’il fallait traiter les problèmes les uns après les autres, admettre peut-être une usine nucléaire civile…
On en vient à se demander si cette crise n’est pas utile à beaucoup de gens. Quoiqu’il en soit, l’Iran n’aura pas tout de suite d’arme nucléaire. L’Iran nucléaire, c’est une menace de basse intensité, qui favorise à la fois une apparente cohésion de la communauté internationale et une apparente cohésion du régime iranien.