La défaite de la coalition « noire-jaune », la même qui gouverne à Berlin depuis les élections de septembre 2009, n’est pas synonyme de victoire du SPD et des Verts. Elle place même les sociaux-démocrates devant un casse-tête : comment arriver au pouvoir sans l’appoint de la gauche radicale, Die Linke mais comment gouverner avec lui ? La République fédérale a longtemps vécu avec un système politique à trois partis, deux grandes formations populaires, la social-démocratie et la démocratie-chrétienne, et un petit parti libéral, qui assurait la majorité, tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre.
Le jeu s’est compliqué dans les années 1980 avec l’arrivée des Verts. L’irruption d’un cinquième parti sur la scène fédérale et dans les Länder rend les coalitions d’autant plus difficiles que Die Linke sent le soufre.
Certes, le SPD gouverne avec lui la ville-Etat de Berlin comme il a gouverné avec elle le Land de Mecklembourg-Poméranie. Les démocrates-chrétiens eux-mêmes ne répugnent pas à diriger des municipalités de l’ancienne Allemagne de l’est avec d’anciens communistes.
Toutefois, une alliance même informelle avec Die Linke dans un grand Land de l’Ouest est apparue longtemps impossible aux sociaux-démocrates, voire aux Verts. La tête de liste social-démocrate aux élections régionales de Hesse en 2008 en a fait l’amère expérience. Andrea Ypsilanti voulait remplacer le ministre-président du Land, Roland Koch, par un gouvernement rouge-vert, soutenu par la gauche radicale. Elle a échoué parce qu’au moment du vote d’investiture, des voix lui ont manqué dans son propre parti. Les élections anticipées, l’année suivante, se sont conclues par un cuisant échec du SPD qui est passé de 36,7% à 23,7% des suffrages.
Plusieurs raisons expliquent l’ostracisme frappant Die Linke. Ce parti est un assemblage assez hétéroclite d’anciens sociaux-démocrates opposés aux réformes mises en œuvre par le gouvernement de Gerhard Schröder au début des années 2000, de syndicalistes qui ont rompu pour les mêmes motifs avec la social-démocratie, d’anciens communistes de la RDA et, en particulier en Rhénanie-Westphalie, de militants de groupuscules gauchistes. Le parti est divisé entre les « fondamentalistes », venus surtout de l’Ouest, hostiles à toute « compromission » avec les partis « bourgeois », et les « pragmatiques », souvent des « ex » du parti communiste est-allemand, qui pensent pouvoir imposer leurs revendications à travers les institutions démocratiques.
Quant aux Verts, qui comptent encore dans leurs rangs quelques anciens militants pour les droits de l’homme de l’ancienne Allemagne de l’Est, ils n’éprouvent pas une grande sympathie pour les héritiers du PC est-allemand.
Une gifle
Que fera Hannelore Kraft, la candidate social-démocrate au poste de ministre-président en Rhénanie-Westphalie ? Elle a théoriquement le choix entre trois solutions : une grande coalition avec la CDU – difficile a envisager après un tel recul de la démocratie-chrétienne —, un gouvernement dit « feux tricolores » (rouge-jaune-vert) associant les libéraux et les Verts – mais il est peu probable que les libéraux se laissent aller à envoyer ce très mauvais signal pour l’alliance avec Angela Merkel au niveau fédéral —, ou un accord avec les verts et Die Linke, la gauche radicale participant au gouvernement ou simplement votant avec la coalition rouge-verte sans avoir de ministres, ce que sous la IIIè et la IVè républiques en France on appelait le soutien sans participation.
Quelle que soit l’issue des négociations qui ont commencé dès le lendemain du scrutin, le bilan est désastreux pour Angela Merkel. Son parti a perdu le pouvoir dans un des Länder les plus importants du pays. Ses alliés libéraux enregistrent une baisse de douze points par rapport à leur score aux élections fédérales dans la région même d’où est originaire le chef du FDP et ministre des affaires étrangères, Guido Westerwelle. Les faux pas du gouvernement fédéral dans ses premiers mois, les dissensions entre les partis de la coalition, ont coûté cher aux chrétiens-démocrates comme aux libéraux à l’occasion du premier test grandeur nature après les élections de septembre 2009. Cette défaite – une « gifle », titre la presse populaire — a libéré les critiques, au sein de son propre parti, contre la chancelière qui se voit reprocher son attentisme et sa répugnance à prendre des décisions.
Angela Merkel a près d’un an avant les prochaines élections régionales pour rétablir la situation et montrer un véritable leadership. Ce sera d’autant plus difficile que le gouvernement a perdu la majorité au Bundesrat, la Chambre des Etats, et ce quelle que soit la coalition qui s’imposera en Rhénanie-Westphalie.