L’idée d’un « pacte de compétitivité » entre les Etats de la zone euro, présentée à Bruxelles vendredi 4 février par l’Allemagne et la France, a été mal accueillie par leurs partenaires de l’Union européenne. Il est vrai que la façon dont ce projet a été élaboré puis soumis au Conseil européen avait de quoi heurter les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. L’initiative est venue de l’Allemagne. La France y a été associée tardivement.
Les autres pays n’en ont pris connaissance qu’à la veille du sommet. Ils n’ont pas apprécié de n’avoir été ni consultés ni informés en temps utile. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et celui de la Commission européenne, José Manuel Barroso, ont également regretté d’avoir été mis devant le fait accompli. Le résultat de cette fausse manoeuvre est que l’examen approfondi des propositions franco-allemandes a été renvoyé au mois de mars.
Sur le fond, pourtant, le plan conçu par la chancelière Angela Merkel représente un pas en avant considérable vers la mise en place d’un « gouvernement économique » de l’Europe, que de nombreux pays, à commencer par la France, disent appeler de leurs voeux. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qui a eu la primeur du projet, parle d’un « tournant politique » comparable à celui qu’a accompli le chancelier Gerhard Schröder lorsqu’il a présenté son agenda 2010 réformant le marché du travail.
L’émergence d’une nouvelle chancelière
De même que M. Schröder avait abandonné alors les positions traditionnelles de la social-démocratie allemande, qu’il jugeait dépassées, souligne l’hebdomadaire, Mme Merkel renonce à quelques-unes de ses convictions fondamentales sur l’Europe. Elle propose enfin, comme le souhaitait Jacques Delors, de compléter l’union monétaire par une véritable union économique, ajoute Der Spiegel, qui salue « l’émergence d’une nouvelle chancelière » et conclut : « Son plan pourrait changer d’une manière permanente la structure de l’Union européenne ».
La chancelière recommande en effet une meilleure coordination des politiques financières, économiques et sociales des Etats membres afin de réduire leurs divergences et d’accroître leur compétitivité. Comme l’écrit le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, dans Le Monde du 4 février, « il est incontestable que l’Europe, notamment la zone euro, doit mieux coordonner les politiques financières, budgétaires, économiques et sociales afin de stabiliser la monnaie commune ».
Salaires, retraites, fiscalité
Sans doute ces ambitions ne sont-elles pas nouvelles. Elles sous-tendent déjà le pacte de stabilité et de croissance, justifient la stratégie de Lisbonne, devenue la stratégie 2020, inspirent plusieurs propositions de la Commission européenne. Mais leur formulation va plus loin, en fixant des objectifs nouveaux qui touchent à des domaines aussi jalousement gardés que la politique salariale ou la protection sociale.
Mme Merkel invite en effet les Etats européens à mettre fin à l’indexation des salaires sur l’inflation, là où elle est encore pratiquée, à harmoniser l’âge de la retraite en fonction du vieillissement de la population (l’objectif de 67 ans figurait dans la version initiale avant d’être supprimé), à inscrire dans leur Constitution le plafonnement de l’endettement public, à accélérer la reconnaissance mutuelle des diplômes ou encore à envisager une assiette commune, voire un taux commun, de l’impôt sur les sociétés. Autant de questions controversées qui expliquent les réticences de plusieurs pays concernés.
Le plan franco-allemand suscite assurément beaucoup d’interrogations. On ignore notamment si les Etats qui ne respecteraient pas les engagements pris subiraient des sanctions. La priorité donnée par Mme Merkel à l’approche intergouvernementale sur l’approche communautaire inquiète ceux qui veulent donner un plus grand rôle à la Commission et au Parlement. Il reste que, pour la première fois, la chancelière allemande accepte de placer la zone euro au centre du dispositif, au risque de favoriser une Europe à deux vitesses.
L’intégration par les crises
Plusieurs experts européens ont jugé positives les propositions franco-allemandes. Guillaume Klossa, président du cercle de réflexion Europanova, qui participait, samedi 5 février au Sénat, à un colloque de la conférence Olivaint, a noté que l’Europe avait peu avancé vers un gouvernement économique européen et que le « pacte de compétitivité » ouvrait enfin une perspective allant au-delà de la seule conciliation des budgets. Stéphane Cossé, maître de conférence à Sciences Po, a jugé paradoxal, au cours du même colloque, qu’on demande sans cesse à l’Allemagne de faire des propositions et qu’on s’inquiète de son hégémonie lorsqu’elle intervient.
« Plus la crise s’envenime, plus les Etats sont contraints de coopérer », a souligné Franck Lirzin, chargé de cours de macroéconomie à l’Ecole centrale de Marseille, faisant écho à la conclusion de l’article de Wolfgang Schäuble déjà cité : « L’intégration européenne a toujours été renforcée par les crises. Je suis convaincu que ce sera aussi l’expérience qui sera tirée de la crise actuelle ».