« L’ennemi n’est pas un ennemi de la France, c’est un ennemi de l’Europe », a déclaré François Hollande à propos du terrorisme. Que peut faire l’Union européenne ?
Evidemment le terrorisme ne connaît pas de frontières. On est désormais dans une logique de dissémination des attaques. On l’a vu à Bamako, on l’a vu à Beyrouth, on l’avait vu en Europe, à Londres, à Madrid et déjà à Paris et on le verra ailleurs Ce que peut faire l’Europe déjà c’est jouer son rôle de fédérateur. J’ai rappelé l’autre jour à Martin Schultz, le président du Parlement européen, la nécessité d’un parquet européen. Il m’a répondu : cela fait longtemps que je le demande. Pourquoi un parquet européen ? Tout simplement parce qu’un certain nombre de renseignements sont connus par les services de police mais qu’il manque un échelon de centralisation de ces renseignements. Nous, nous demandons aussi un parquet financier, car la finance se joue des frontières, c’est un autre sujet, mais la problématique se traite de la même manière, c’est-à-dire qu’il faut centraliser. Il faudrait donc un procureur et un parquet antiterroriste européen pour que les renseignements circulent de manière efficiente et qu’on puisse mieux gérer en amont les renseignements obtenus. On voit très bien qu’en aval les services de police font un travail remarquable mais en amont, même si un excellent travail est fait et que des attentats sont déjoués, je n’ai aucun doute là-dessus, on voit bien quand même qu’il y a des faiblesses, qui ont été mises en lumière au moment des attentats de Paris. Un parquet antiterroriste européen serait une avancée considérable.
Il existe déjà un office européen de police, Europol, qui est censé assurer la coordination
Oui, mais on voit bien que certains renseignements circulent mal, ce sont des logiques humaines, deux services de police peuvent être en concurrence, c’est pour cela qu’il faut faire remonter à un tiers neutre, Un parquet européen se contrefiche de savoir si c’est la police belge, française ou allemande, il n’est pas en concurrence, il essaie de centraliser, de diffuser des informations et de faire le tri entre ces informations. Regardez le travail remarquable qu’a fait le juge Trévidic, tout le monde écoute à la fois avec intérêt et avec respect ce que dit un juge antiterroriste qui connaît particulièrement bien la question. Donc ce qui fonctionne en France, ce lien entre la magistrature et la police sur un objectif antiterroriste, il faut le mettre en place au niveau européen.
Le Parlement européen est accusé de bloquer la mise en place d’un PNR (Passenger name record), un fichier de données sur les passagers des vols européens. Les Verts sont au nombre des opposants. Pourquoi ?
Que nous soyons en pointe sur les questions de défense des libertés individuelles et de l’équilibre ente la sécurité et les libertés, c’est exact, mais nous n’avons pas la majorité au Parlement européen à nous tous seuls. Pourquoi discute-t-on sur le PNR ? En réalité, c’est un peu la surenchère législative. Quand une loi n’est pas appliquée, on en prend une autre, puis on en prend une autre, et à la fin rien ne se passe parce que ce qui est en cause c’est un manque de moyens et un manque de coordination. On est en train de demander la mise en place d’un système qui donnerait sans aucun contrôle à l’ensemble des services de police la totalité des informations sur la totalité des déplacements en avion à l’intérieur de l’Union européenne. C’est donc une atteinte aux libertés considérable. Ce n’est pas Orwell, mais ce n’est pas loin. Absolument tout est fiché, tout est accessible, et rien n’est contrôlé. Encore une fois, le problème, ce n’est pas la connaissance des déplacements des personnes qui sont fichées, celles-là on les connaît, le problème, c’est que nous n’avons pas les moyens à ce stade, en termes de personnels et d’échange d’informations, pour que cela marche et donc on s’aperçoit qu’un certain nombre de gens connus, fichés, surveillés, peuvent aller en Syrie, en Turquie, revenir par l’Espagne, etc. et c’est cela le problème. Donc nous disons, et nous nous permettons de le dire parce qu’un certain nombre de spécialistes le disent avant nous et avec nous : donnons d’abord les moyens aux services de police, aux services de douane, aux services judiciaires, de pouvoir faire leur travail correctement, en l’état des informations qu’ils possèdent, avant d’entrer dans un système de fichage total qui concerne absolument tout le monde. Cela devient très dangereux, il ne faut pas qu’au nom de la sécurité on en arrive à porter atteinte de manière beaucoup trop large aux libertés publiques. De toute façon, si le PNR était quelque chose qui allait résoudre toutes les problématiques, cela ferait longtemps que le Parlement l’aurait adopté.
Allez-vous tout de même le voter ?
Je ne sais pas. Je pense que Dany Cohn-Bendit, qui n’est plus au Parlement européen, ou mon ami Yannick Jadot, y sont plutôt favorables. Moi je n’en fais pas une position idéologique, je n’en fais pas une position de principe. Si on me démontre que c’est utile et efficace, si on me démontre que les défauts qu’on a constatés seraient réglés par le PNR, je ne m’y opposerai pas. Pour le moment je ne suis pas convaincu. Ce que je vois ,c’est que les renseignements ne passent pas et que toutes les personnes qui ont commis des attentats depuis plusieurs mois étaient connues, donc on voit bien qu’il y a un problème de suivi beaucoup plus qu’un problème de fichage supplémentaire. On a le sentiment qu’on va très loin dans une logique sécuritaire, une logique de fichage et de rétention des données. Il y a là un danger d’atteinte à la vie privée d’un grand nombre de citoyens qui n’ont pas nécessairement envie que tout soit connu.
Parleriez-vous, comme Noël Mamère, d’une surenchère sécuritaire ?
Je me méfie toujours d’un monde binaire où il y aurait, d’un côté, les méchants qui voudraient tout contrôler et surveiller, qui seraient uniquement dans une logique sécuritaire, et, de l’autre côté, en face, des innocents qui voudraient préserver les libertés. Le monde est évidemment beaucoup plus complexe que cela. C’est comme quand j’entends parler de lois liberticides. Il ne faut pas galvauder les mots. On n’est pas dans un Etat de dictature, les mesures qui sont prises pour le moment sont des mesures de sécurité publique. Mais Noël Mamère a raison sur un point, c’est de dire : attention, ne cédez pas à l’émotion, ne cédez à une ambiance de volonté de sanction, de vengeance, c’est un sentiment naturel quand on voit l’horreur de ce qui s’est passé à Paris, ne cédez pas quand même à cette impulsion, à ce moment passionnel, faites attention de ne pas partir dans des dérives qui pour le coup pourraient à terme être sécuritaires. On a eu un débat chez les écologistes sur la recherche d’équilibre entre liberté et sécurité, c’est un débat qui existe depuis que les démocraties sont là.
Ce long débat sur le PNR n’est-il pas une nouvelle preuve des lenteurs bureaucratiques de l’Union européenne ? Bernard Cazeneuve a déclaré que l’Europe a perdu trop de temps. Qu’en pensez-vous ?
L’Europe a bon dos. Quand quelque chose va bien, on dit que c’est grâce à nos gouvernants nationaux, parce qu’ils sont merveilleux, brillants, efficaces en toutes choses, en tous lieux et en tous temps, mais en revanche dès que quelque chose ne va pas évidemment c’est Bruxelles. C’est tellement facile, et c’est tellement faux. D’abord parce que l’essentiel de ce qu’on reproche à l’Europe, ce sont les Etats qui le font. Ce n’est en aucune manière l’Europe en tant que telle. Ce sont les Etats qui bloquent la création d’un parquet européen au nom de la défense de la souveraineté nationale. On voit très bien que s’il y avait plus d’Europe les renseignements fonctionneraient mieux, les frontières seraient plus efficientes. M. Cazeneuve serait bien inspiré, plutôt que de critiquer l’Europe, de faire en sorte que l’Europe fonctionne mieux. Ces questions relèvent essentiellement du pouvoir régalien des Etats, je ne vois pas les reproches que l’on peut faire à l’Europe, c’est un peu de la démago politicienne. Ce n’est pas à la hauteur.
Faut-il revoir les accords de Schengen ?
Certainement pas à cause de ce qui s’est passé. La question de Schengen est une question qui se pose dans la construction de l’Europe, elle ne se pose pas dans l’urgence d’un attentat qui a eu lieu à Paris ou à Madrid. Faire le lien entre Schengen, les réfugiés, comme cela a été fait par certaines personnes d’une manière odieuse, et les attentats est absolument ignoble, il n’y a pas d’autre mot. L’écrasante majorité, pour ne pas dire la totalité des réfugiés, ce sont des réfugiés qui justement fuient l’horreur que nous avons vécue le 13 novembre, c’est-à-dire des guerres, des bombes, des souffrances. Mettre les réfugiés au pilori, les montrer du doigt, c’est confondre les bourreaux et les victimes. Peut-on, en période de crise, pour assurer la sécurité d’un endroit spécifique, renforcer les contrôles, à un moment, aux frontières ? La réponse pour moi est oui, c’est d’ailleurs prévu par Schengen. Soit on considère que, dans la lutte contre le terrorisme, il y a des mesures d’urgence à prendre pour chercher les responsables, très bien, soit on considère que c’est sur le long terme et si on croit que, sur le long terme, c’est en en restant aux Etats-nations que l’on va résoudre la problématique du terrorisme international on se trompe considérablement. Oui, certainement, il faut réformer Schengen mais pas dans une volonté de faire une Europe forteresse, d’abord ça ne marchera pas, et par ailleurs nous avons la nécessité de recueillir aussi cette part de la misère humaine dont nous sommes, pour une grande part, responsables.
Au-delà de la réponse sécuritaire, comment peut-on s’attaquer aux causes du terrorisme ?
S’il y avait une réponse simple, directe, je pense qu’elle serait déjà connue. On ne vaincra pas le terrorisme, qu’il soit revêtu des habits d’un Islam intégriste ou de tout autre habit, par ses propres méthodes. Nous avons des valeurs à défendre. Ces valeurs, elles sont résumées en France par le triptyque liberté-égalité-fraternité mais ce sont des valeurs européennes. On a deux champs d’action. Le premier champ d’action, évidemment, c’est en externe. Pourquoi ces pays sont-ils en guerre ? Pourquoi y a-t-il autant de souffrances et de guerres là-bas ? La question du pétrole doit être posée, la question de notre lien avec des Etats qui financent, pour une part, le terrorisme ou qui le tolèrent quand ils ne le financent pas, des Etats avec lesquels nous avons des liens très proches parce qu’ils nous achètent des armes, parce qu’on leur achète du pétrole, et donc on regarde ailleurs.
Le deuxième champ d’action, c’est en interne. Daech ce n’est pas cinquante terroristes fous qui tiennent en otage une population complète, il y aussi des soutiens dans ces régions là, des soutiens dans la population civile qui souffrait de Bachar el-Assad en Syrie et qui, à un moment, a vu ces arrivants comme étant des libérateurs. Chez nous se pose aussi la question du soutien et du fait que peut-être une partie de la population regarde ailleurs et ne se sent pas directement concernée. On l’a vu au moment des attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, on l’a vu avec les incidents au moment des minutes de silence. Ils n’ont pas eu lieu cette fois-ci, c’est bon signe, cela veut dire que la population réfléchit, qu’elle avance et peut-être qu’elle comprend aussi que l’horreur concerne tout le monde. On parlait tout à l’heure des valeurs européennes. Ces valeurs, pour qu’elles soient partagées il faut les porter partout et on s’aperçoit que toute une partie de la population en France a été totalement exclue, mise au ban de la société, qu’on a laissé une religion s’humilier en allant prier dans des caves, qu’on lui a refusé sa dignité et quand vous refusez à un être humain sa dignité, les plus sensibles, les plus fragiles, vont être la proie de ceux qui sont là pour les endoctriner. Il faut que ces citoyennes et ces citoyens français soient vus, perçus, comme des citoyens à part entière.
Vous ne croyez pas à un choc des civilisations ?
Ce sont des mots. La civilisation, laquelle ? La civilisation musulmane, celle qui a donné Averroès, celle qui a donné des auteurs de poésies, des mathématiciens ? On lui doit autant, à cette civilisation, que ce qu’elle a pu prendre chez nous, c’est eux qui ont réintroduit la pensée grecque chez nous après le Moyen Age, alors arrêtons avec cette espèce de vision stupide et arriérée d’un monde où il y aurait l’Occident chrétien brillant et, à côté de ça, des islamistes obscurs, c’est évidemment faux.
Propos recueillis par Thomas Ferenczi