A l’Est, la Cyrénaïque au IIème millénaire avant J.-C. était intégrée à l’Egypte, et fut plus tard colonisée par les Grecs. Cyrène devint la plus grande cité grecque d’Afrique. A l’Ouest, les Phéniciens fondèrent en Tripolitaine des comptoirs commerciaux dès le VIIIème siècle av. J.-C. Situé en bord de mer, le comptoir carthaginois de Subratha, fondé au Vème siècle av.J.-C., est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. A 120 km à l’est de Tripoli, la ville romaine de Leptis Magna l’est aussi, où naquit l’empereur Septime Sevère. Subratha, Leptis Magna et Oea, l’ancien nom de la capitale, valurent à la région son nom des trois villes (Tripoli).
Après la destruction de Carthage, l’empire romain s’étendit sur tout le pourtour de la Méditerranée, mais lors de sa division en 395 la Tripolitaine fut rattachée à l’Empire d’Occident et la Cyrénaïque à l’Empire d’Orient. Avec la conquête arabe, dès 643, l’Egypte accrut peu à peu son influence sur la Cyrénaïque alors que l’Ifriqiya, comme on appelait la Tunisie, contrôlait la Tripolitaine. Dans l’empire ottoman auquel Soliman le magnifique annexa Tripoli en 1551, les deux provinces conservèrent leur identité. Entre elles, la côte désertique de Syrte, au sud le désert du Fezzan, avec ainsi le Maghreb à l’Ouest de la côte de Syrte, et le Machrek à l’Est.
Une création de Mussolini
La Libye a été créée en 1934 par Mussolini par fusion de la Cyrénaïque, de la Tripolitaine et du Fezzan. Le désert occupe 90 % du territoire libyen, grand comme trois fois la France.
Ces provinces étaient les dernières possessions ottomanes en Afrique. La France et l’Italie les convoitaient. En 1911 l’Italie déclare la guerre aux Ottomans dans l’idée de bâtir un empire colonial. Débarquées à Tripoli le 5 octobre, les troupes italiennes se heurtent à une vive résistance turque, menée notamment par Mustafa Kemal, qui s’est porté volontaire et à qui on a confié un poste dans la région de Tobrouk et de Derna, en Cyrénaïque. Le 22 décembre 1911, les Ottomans remportent la bataille de Tobrouk. Mais en octobre 1912 le Monténégro déclare la guerre à l’Empire ottoman, suivi aussitôt par la Serbie, la Bulgarie et la Grèce. Occupé dans les Balkans, le gouvernement turc signe en toute hâte un traité de paix avec les Italiens et ordonne à ses troupes d’évacuer la Libye : le traité d’Ouchy (Lausanne), le 18 octobre 1912, accorde la Cyrénaïque et la Tripolitaine aux Italiens.
Après avoir écrasé les résistances locales, Mussolini peut finalement annoncer l’occupation militaire de toute la Libye, le 24 janvier 1932, et deux ans plus tard Tripolitaine et Cyrénaïque sont unies administrativement en une seule province nommée Libye en référence à l’antiquité romaine. Une route est construite entre les deux régions à travers le désert de Syrte. En 1939, le statut colonial de la Libye est supprimé et la province est rattachée directement à l’Italie. Mussolini avait signé avec Laval en 1935 un accord sur les frontières entre colonies françaises et italiennes, qui sera invoqué par Kadhafi, dans les années 1980, pour justifier son annexion de la bande de Aouzou (Tchad).
Pendant la seconde guerre mondiale, les troupes italiennes stationnées en Libye attaquent l’Egypte sous domination britannique ; elles sont repoussées en Tripolitaine avant d’être secourues par l’Afrika Korps, le corps expéditionnaire du général Rommel, qui menace à nouveau l’Egypte. Mais la contre-offensive menée par le général Montgomery est victorieuse. Le 23 octobre 1942 à El Alamein, les Alliés repoussent les Allemands. Les Britanniques administrent la Libye, la France occupe le Fezzan.
A la fin de la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique demanda la tutelle sur la Libye. Les Anglo-saxons s’entendirent pour accorder l’indépendance à la Libye, au grand mécontentement de la France qui craignait une contagion immédiate pour ses colonies d’Afrique du Nord. Le 24 décembre 1951 l’indépendance de la Libye est proclamée, Mohamed Idriss El Mahdi Es Senoussi est couronné roi (chef de la confrérie religieuse des Senoussi, il avait été reconnu émir de Cyrénaïque en 1920).
Avec moins d’un million d’habitants le pays, extrêmement pauvre, subissait l’influence politique de la Grande Bretagne et des Etats-Unis (qui disposaient en Libye de bases militaires) et celle, économique, de l’Italie.
Le pétrole et l’Etat des masses
La Libye rejoint le Nations Unies le 14 décembre 1955, et quelques mois plus tard, le 30 avril 1956, un forage de la Libyan American Oil trouve un premier gisement de pétrole. D’autres plus importants sont découverts en 1959 par la Esso Standard Libya. . En 1965, la Libye exporte quelque 58,5 millions de tonnes et est le premier producteur d’Afrique. Le pétrole permet au pays de développer ses infrastructures, encore rudimentaires au début des années 1960. La Libye adhère à l’OPEP en 1967.
Le pétrole découvert en 1959 ébranla les structures traditionnelles et amorça un début de transformation sociale.
Pour les auteurs de l’Atlas géopolitique du Moyen–Orient et du monde arabe, la chute de la monarchie sénousside fut en partie précipitée par la défaite arabe lors de la guerre des Six Jours de juin 1967. Devant les nombreuses manifestations populaires réclamant le démantèlement des bases militaires américaines et britanniques, le régime s’était vu contraint, dès 1964, de demander officiellement le retrait de la présence étrangère. Le 1er septembre 1969, la monarchie est renversée par un groupe de jeunes officiers nationalistes, au premier rang desquels le capitaine Kadhafi, auto promu colonel dans la nuit. Kadhafi, à qui Nasser déconseille de s’adresser aux Soviétiques pour ses besoins d’armement, se tourne alors vers l’Europe et, en particulier, vers la France. En janvier 1970, Paris annonce la vente à Tripoli de 110 avions Mirage, provoquant la colère de la grande Bretagne, des Etats-Unis et surtout d’Israël.
Pour assurer l’indépendance économique de la Libye, Kadhafi impose aux compagnies pétrolières un contrôle et une limitation de la production. Il obtient en septembre 1970 une hausse de 14% du prix du brut : « Cette politique a marqué le début du renversement des positions entre compagnies et Etats pétroliers au proche Orient, et durant l’été 1973, la Libye se joignit à la vague de nationalisation de l’industrie pétrolière et des intérêts étrangers. »(Atlas géopolitique).
En avril 1973, Kadhafi lance la révolution culturelle libyenne : instaurer un socialisme arabe s’appuyant sur des comités populaires, pilotés par les masses –Jamahir – afin de combattre la « république des élites » (qui reprochaient au guide de verser dans la dictature). En juillet 1975, ayant déjoué un « complot », Kadhafi met en sommeil le conseil de commandement révolutionnaire et transforme la république libyenne –Joumhouriya- en « Etat des masses », Jamahiriya, un néologisme qu’il a forgé.
Les tentatives de fédération arabe
Dès l’arrivée de Kadhafi au pouvoir, satisfait de pouvoir compter désormais sur deux voisins progressistes, et prêts à participer à la lutte contre Israël, la Lybie et le Soudan, Nasser adopte le principe d’une union entre les trois pays fin 1969, mais des désaccords empêchent sa mise en œuvre. Après la mort de Nasser en septembre 1970, le principe d’une nouvelle fédération arabe, avec en plus la Syrie, revient à l’ordre du jour. En juillet 1971, l’Egypte et la Libye interviennent pour mettre fin à un coup d’Etat procommuniste au Soudan. L’union des républiques arabes est proclamée le 1er septembre 1971, en laissant à l’écart le Soudan et ses problèmes. Mais le rapprochement entre l’Egypte et les Etats-Unis en 1971-1972 éloigne Tripoli du Caire, et plus encore la guerre israélo-arabe de 1973, Kadhafi reprochant à l’Egypte d’avoir accepté un cessez le feu.
Il n’abandonne pas ses rêves d’union, mais déçu par le Machrek il se tourne vers le Maghreb. Un accord avec la Tunisie en 1974 capote à cause de la volte-face de Bourguiba « La Tunisie devient dès lors la cible privilégiée des efforts de déstabilisation entrepris par la Libye », rappellent les auteurs de l’Atlas géopolitique. Les tensions avec l’Egypte poussent Tripoli à se rapprocher de Moscou, malgré le marxisme athée que lui reproche Kadhafi. L’Union soviétique lui envoie plusieurs milliers de conseillers de même que certains pays de l’Est, notamment la République démocratique allemande.
La Libye devient en quelques années un des premiers importateurs d’armes du monde, l’armée de métier passant de 20 000 hommes en 1970 à 90 000 en 1984-85 ; elle possède des chars, des Mirages, des Migs, des sous-marins, etc. Elle signe en 1978 des accords de coopérations dans le domaine nucléaire avec l’Inde. Tripoli aurait aussi tenté de développer des armes chimiques.
Après les attentats de Lockerbie le 21 décembre 1988 et du DC-10 français au Niger le 19 septembre 1989, le conseil de sécurité de l’ONU adopta en avril 1992 un embargo aérien et militaire contre la Libye, qui au début de 1993 menaçait d’être étendu aux exportations pétrolières vitales pour l’économe du pays. Des accords furent finalement conclus et les sanctions de l’ONU furent levées le 12 septembre 2003, puis le gouvernement libyen décida de mettre fin à son programme d’armes de destruction massive. Le 11 octobre 2004 l’Union européenne a levé l’embargo militaire à l’encontre de la Libye.
Les Occidentaux, après le président GeorgeW.Bush ont semblé apprécier en Kadhafi un allié contre l’islamisme radical ; ils ont signé des accords commerciaux et surtout examiné avec lui les moyens de contenir l’immigration vers les Etats européens, moyennant une aide financière.
Population et ethnies
La population de la Libye est estimée à 6, 3 millions d’habitants. Les travailleurs étrangers et leurs familles représentent près de 20 % de la population totale et 50 % de la population active. Ils viennent principalement d’Egypte, du Soudan et du Sahel. Les Libyens sont, pour la plupart, d’origine berbère. Ils ont été arabisés assez tôt avec l’expansion de l’islam d’est en ouest, portée par les tribus arabes dès le VIIIème siècle.
L’islam est religion d’Etat et, depuis 1994, la Charia s’applique en matière de droit. La presque totalité de la population libyenne est musulmane sunnite. L’islam libyen est organisé autour de la confrérie religieuse senoussi. L’arabe est la langue officielle mais le berbère est toujours parlé, notamment dans les oasis et dans les montagnes. Les Berbères habitent de petits villages à l’ouest de la Libye ; ils ont tendance à s’identifier à leur tribu ou à leur village plutôt qu’à la nation libyenne. Les Bédouins et les Touaregs sont généralemet des nomades, dans le sud du pays ; ils dépllacent leur bétail d’un endroit à un autres et vivent dans des tentes.
Les solidarités tribales
Dans la guerre civile actuelle, les militaires ne jouent pas un rôle décisif. La structure sociale du pays détermine leur rôle de manière différente, explique un expert de la Libye, Hanspeter Mattes dans le Spiegel on line. En Libye l’importance des déserts a fait prévaloir un mode de vie nomade de pasteurs dont la survie dépendait de la solidarité tribale.
Lorsque Kadhafi a pris le pouvoir en 1969, les membres de sa tribu, la Kadhadhifa, et ceux des deux tribus alliées Maqarha et Warfalla occupent toutes les positions clefs dans le domaine de sécurité, c’est-à-dire dans l’armée, la police et le renseignement. Personne ne s’est jamais attendu que des membres de ces tribus puissent passer à l’opposition. Toutefois la puissante tribu des Warfalla s’est trouvée en désaccord avec le traitement infligé à l’opposition par Kadhafi et a pris ses distances par rapport à la tribu de Kadhafi.
Il y a environ 140 tribus et familles influentes en Libye, mais seules une trentaine ont une réelle influence politique. En Tripolitaine , les Warfalla ont toujours joué un rôle important , avec les Waana Farsha et les Tarhunis. Alors que la tribu de Kadhafi, qui vit sur les côtes Syrte, n’a d’importance que par sa prise de pouvoir et les alliances qui en ont découlé. Les grandes familles de Tripoli et des villes côtières de Cyrénaïque ont fourni des premiers ministres à la monarchie.
Le système tient par la carotte et le bâton, les tribus loyales reçoivent des privilèges alors que l’opposition est punie, et cela se reproduit à l’intérieur des tribus : une loyauté absolue à la tribu et aux membres de la famille vaut des bénéfices matériels et sociaux, y compris des postes ou des contrats alors que l’opposition est persécutée. Un membre de la tribu de Kadhafi paya de sa vie son opposition à l’intervention au Tchad en 1985. En 1993 un soulèvement d’une partie de la tribu des Warfalla fut brutalement réprimé, à la suite de quoi un soi-disant code d’honneur approuvé par le parlement en mars 1997 déclara que tribus et familles pouvaient être tenues collectivement responsables des activités oppositionnelles de leurs membres.