Quelle place la religion a-t-elle eu dans la campagne électorale américaine ?
La religion a joué un rôle très important au cours des primaires. Tant les Républicains que les Démocrates ont estimé que la religion avait eu un rôle déterminant au cours de la campagne de 2004 et qu’il leur fallait donc ne pas laisser l’adversaire occuper le terrain des valeurs morales. John Mc Cain et Barack Obama ont fait étalage de leurs convictions, le premier en parlant de ses expériences mystiques pendant la guerre du Vietnam, le second en parlant de sa conversion au christianisme. Or un certain nombre de politologues ont démontré que lesdites valeurs morales ont été moins importantes que ce qu’on pouvait penser en 2004. Il reste que 63% des Américains hésiteraient à voter pour un candidat athée (et 46% hésiteraient à voter pour un candidat musulman). Ce qui fait qu’Obama s’est senti obligé de parler de ses convictions religieuses tout au long de la campagne. Il a réussi à convaincre une majorité d’électeurs protestants « classiques » (par opposition aux évangéliques, majoritairement républicains) et une majorité des catholiques.
Quelle est la religion d’Obama ?
Barack Obama a découvert le rôle social des églises dans le South Side de Chicago, quand il était travailleur social. C’est là que se sont forgées ses convictions. Constatant que les églises réussissaient particulièrement bien à s’insérer dans les communautés des ghettos pour y aider les gens en difficulté (éducation, santé etc.), Barack Obama a travaillé avec plusieurs d’entre elles sur le terrain. Sa conversion est tardive. C’est une conversion de raison, nullement comparable à celle de Jimmy Carter, Bill Clinton, ou Bush-fils qui étaient tous les trois baptistes « born again ». Obama n’appartient pas à cette mouvance évangélique, il appartient à la tradition du protestantisme historique américain dit mainstream ou mainline, mais dans une variante progressiste. L’église où il a été baptisé, United Church of Christ, a été l’une des premières à accueillir des pasteurs noirs ou, plus tard, homosexuels. Obama a quitté cette église au cours de l’été 2008, en raison des prises de positions extrémistes du pasteur Jeremiah Wright. On change facilement d’église aux Etats-Unis, ce n’est donc pas un grand problème, mais on ne sait pas encore quelle sera l’église qu’Obama choisira à Washington.
Le révérend Rick Warren, un évangélique opposé au mariage gay, prononcera la prière lors de l’investiture de Barack Obama, comment interpréter ce choix ?
Barack Obama est en relations avec Rick Warren depuis 2006. Il a eu besoin de lui pour lui servir de caution auprès de l’électorat évangélique pendant la campagne. Rick Warren est un personnage égomaniaque mais influent. Son église, basée en Californie du sud, effectue un travail social important, notamment en direction des malades du sida. Mais Warren est un avocat du créationnisme anti-darwinien et il a mené une campagne active contre le mariage gay en Californie. Les homosexuels sont des pécheurs qui doivent se repentir s’ils veulent être sauvés par Jésus ! C’est un personnage un peu inquiétant, malgré sa bonhommie. En choisissant de le mettre en avant lors de son investiture, Barack Obama entend sans doute réconcilier tout le monde et faire preuve d’oécuménisme, puisqu’il invite aussi à s’exprimer Gene Robinson, un évêque épiscopalien ouvertement homosexuel, ou encore Joseph Lowery, un pasteur méthodiste, l’une des grandes figures emblématiques du mouvement des droits civiques, ancien ami proche de Martin Luther King. Dans ce choix de donner la parole à toutes les religions (il y aura aussi des représentants du judaïsme, de l’islam), Obama s’inscrit dans une tradition syncrétique qui avait été délaissée depuis Ronald Reagan. Ainsi Clinton en 1997, et plus tard Bush père privilégièrent l’évangélisme en donnant la parole au seul Billy Graham, et Bush-fils, suivant cette nouvelle mode, invita le fils de Billy Graham. Ce dernier, Franklin Graham, ne se contenta pas de parler de « Dieu ». Il invita la foule à ne reconnaître que le « Christ seul » comme leur vrai sauveur.
Ce faisant, Barack Obama paraît peu attaché à la séparation entre l’Eglise et l’Etat, une séparation que certains présidents comme John Kennedy ont été très soucieux de respecter. Dans le même ordre d’idées, il a également promis de continuer et d’élargir les « faith-based initiatives » (initiatives de la foi), le programme de subsides octroyés par le gouvernement fédéral aux églises pour les aider à mettre en œuvre leur travail social, mais aussi leur activités prosélytes. Par ailleurs et enfin, il n’est pas écrit dans la constitution américaine qu’un nouveau président doive conclure sa prestation de serment par l’expression « avec l’aide de Dieu » : cette tradition ne date pas des pères fondateurs et elle fut ignorée par George Washington, John Quincy Adams (qui prêta serment sur un recueil de lois) et par Teddy Roosevelt (qui se contenta de lever la main droite). Bien qu’Obama soit un fin constitutionnaliste, il a choisi de ne pas remettre en cause une tradition dont il aurait pu tout aussi bien se passer. Son génie est de s’approprier le Livre du fondateur du parti adverse : il prêtera serment sur la bible de Lincoln. Façon de dire : je respecte mieux que vous les grands principes émancipateurs du parti républicain.