Un tournant dans le quinquennat

Janvier 2009 marque un tournant dans le quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’ampleur exceptionnelle des manifestations qui ont conclu ce premier mois de l’année ouvre un chapitre totalement nouveau dans le cours du mandat présidentiel. Où il apparaît que rien en politique ne se passe jamais comme escompté !

Durant sa campagne présidentielle, le futur président avait eu le mérite d’annoncer sans détours ce qu’il ferait s’il était élu. Son programme comportait trois volets : un volet économique fondé sur la revalorisation du travail (augmentation du pouvoir d’achat, réduction du chômage et diminution des impôts) ; un volet sociétal : modernisation de la société française ; un volet politique : le dépassement des frontières partisanes.

Volontarisme et activisme

Rendons à César ce qui revient à César. Nul ne peut faire grief à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir tenu ses engagements sitôt entré à l’Elysée. Bien que déjà jugée contra-cyclique par de nombreux économistes, la loi TEPA (Travail, emploi, pouvoir d’achat) se voulait la mise en œuvre des orientations économiques annoncées. Au pas de charge, le nouveau président ouvrit le chantier de plusieurs réformes promises : universités, législation du travail, service minimum, modification constitutionnelle. Au prix de quelques débauchages et de quelques promotions rapides pas toujours très convaincantes, le chef de l’Etat constitua un gouvernement qui entendait conjuguer parité, diversité et œcuménisme partisan.

Nicolas Sarkozy fit ainsi figure d’un capitaine sûr de lui et de son cap, sans doute quelque peu dominateur dans une gouvernance qui ramenait toute chose à sa personne mais qui tenait bon la barre et savait où il allait et comment y aller. Les vents semblaient favorables. La gauche ne constituait pas un obstacle. Elle n’était que ruines. Les organisations syndicales semblaient inaudibles. L’opinion, impressionnée par la verve et le dynamisme, pour ne pas dire l’activisme de l’hôte élyséen, applaudissait en dépit d’un éphémère malentendu engendré par l’inclination du nouveau chef de l’Etat pour les paillettes et le clinquant, inclination surmontée dès la fin de l’année 2007.

Six mois de présidence de l’Union européenne incontestablement réussie et une longue vacance de la présidence américaine donnèrent en outre le sentiment ou plutôt créèrent l’illusion passagère dans l’opinion que le dynamisme sarkozien pouvait avoir barre sur le cours des affaires mondiales !

Décrochement et premiers reculs

Las ! Il apparaît aujourd’hui que rien n’est plus ni ne sera plus désormais comme avant. Les premiers indices d’un décrochement sont apparus dès le début de l’an dernier lorsque le président, apparemment surpris par les prémices de la crise financière et par les résultats peu concluants de sa politique économique, dut avouer que les caisses de l’Etat étaient vides et qu’il tenta de faire diversion dans l’opinion en annonçant de manière inattendue la suppression de la publicité à la télévision.

Le président donna néanmoins l’impression de garder la main lorsqu’avec la chute de Lehman Brothers (15 septembre 2008), la crise financière apparut cette fois pour ce qu’elle était, exceptionnelle par sa gravité, par ses conséquences prévisibles sur l’économie et par son étendue mondiale. Le chef de l’Etat sut prendre avec ses partenaires européens et avec la Banque centrale européenne les décisions qui s’imposaient pour éviter que le système bancaire ne se grippât. En revanche, et malgré quelques gesticulations communautaires, il échoua totalement à convaincre les membres de l’Union d’articuler et de coordonner sérieusement leurs plans de relance respectifs. Et le plan conçu par le gouvernement français a été jugé par la plupart des économistes comme trop timoré.

Dans le même temps on a vu pour la première fois Nicolas Sarkozy commencer à reculer sur les réformes engagées : celle des lycées lancée par Xavier Darcos, par peur d’une révolte des jeunes, celle du travail du dimanche à laquelle le président pourtant semblait tenir particulièrement, par crainte d’une fronde parlementaire. Depuis le début de l’année, le capitaine semble avoir égaré sa boussole.

Changement de contexte

Il est vrai que la situation a changé du tout au tout. Voilà des mois que le chômage a repris son cours ascendant. Les plans de licenciements succèdent aux plans de licenciements et le « travailler plus pour gagner plus » relève du slogan gadget quand la masse de travail offerte par les entreprises ne cesse de se contracter. Non seulement il n’est plus question d’accroître le pouvoir d’achat des Français mais il paraît bien difficile d’éviter qu’il ne régresse. Les déficits publics se creusent à une vitesse grand V et les promesses de gestion parcimonieuse des deniers publics sont depuis longtemps devenues caduques. Le plan de relance voté à la toute fin janvier 2009 est décrété insuffisant par les experts avant même d’avoir connu le commencement d’un début d’application.

Les Français se sont mobilisés jeudi 29 janvier 2009 à l’appel des organisations syndicales comme ils ne l’avaient jamais fait depuis les manifestations du CPE et, pour les salariés du privé, comme ils ne l’avaient plus fait depuis 1968. Ils ont moins exprimé une franche hostilité à Nicolas Sarkozy qu’une profonde colère à l’encontre d’un système économique grippé par la faute et par l’avidité de quelques nantis et dont ils doivent aujourd’hui supporter l’énorme facture. La gauche parlementaire, qu’on imaginait pour longtemps hors course, a retrouvé, sur fond de marasme social, de la voix et du corps plus tôt que prévu.

Or, dans ce contexte où rien ne correspond plus à ce qu’il avait promis, prévu ou voulu, Nicolas Sarkozy donne plus le sentiment d’une impuissante agitation que d’une calme résolution dans la tempête. Il se voulait architecte tranquille, déterminé et efficace. Le voici pompier courant d’un feu à l’autre, incapable de prendre les dimensions réelles de l’incendie et d’anticiper déjà le temps de la reconstruction. Le candidat n’avait eu de cesse, non sans quelque forfanterie, d’affirmer qu’à la différence de ses prédécesseurs il mènerait la modernisation du pays au pas de charge. Le voici aujourd’hui médecin urgentiste préoccupé de prévenir un déchirement du tissu social. Et les diversions provocatrices supposées détourner l’attention du patient de ses maux – réforme de la procédure pénale ou bouleversement de l’organisation des territoires - ne font plus effet. La presse s’en saisit quelques jours. L’opinion, elle, n’est pas dupe. Alors, le président s’agace. Les vertus de sa parole omniprésente et les déplacements quasi quotidiens en province paraissent vains. Outre qu’il est accueilli sous les sifflets, ce qui provoque son ire et vaut aux malheureux responsables préfectoraux et policiers d’être sanctionnés, Nicolas Sarkozy peine à convaincre les Français qu’il maîtrise en quoi que ce soit la situation.

Godille

Plutôt que de changer de gouvernement pour affronter ce changement de situation, le chef de l’Etat se contente de repriser cette équipe ministérielle, maille après maille, convaincu de toute manière qu’il est le seul à pouvoir et à oser agir sur la réalité et que le Premier ministre comme ses ministres ne sont que de simples exécutants plus ou moins adroits de la politique qu’il définit et qu’il conduit.

Faute donc d’amortisseurs politiques, Nicolas Sarkozy espère que les amortisseurs sociaux, propres à notre pays et dont il pourfendait hier encore l’archaïsme, l’aideront à surmonter les difficultés. Mais promettre, comme il l’a fait après les manifestations du 29 janvier, la tenue en février d’une réunion déjà programmée avec les organisations syndicales et la poursuite des réformes n’est pas une réponse adéquate à l’angoisse des Français. D’abord parce que la parole présidentielle s’est banalisée tant elle a été prolifique ; ensuite parce que, à tort ou à raison, les citoyens perçoivent de plus en plus les réformes de Nicolas Sarkozy comme autant de restrictions des libertés publiques.

Là est peut-être le paradoxe du nouveau chapitre de ce quinquennat. Avec l’irruption de la crise financière et économique, l’activisme échevelé du président et son volontarisme affiché ne suffisent plus à occulter une absence de vision à long terme et son remarquable charisme verbal à dissimuler une gouvernance à la godille.