Une autre image de l’Amérique

C’est un paradoxe qui mérite réflexion : au moment où les Etats-Unis de Donald Trump donnent au monde entier l’image d’un pays livré aux démons du racisme, de l’arrogance et de l’indifférence aux autres, à l’exemple de son président, inquiétant personnage enivré de son pouvoir et de ses certitudes, une autre image surgit, nourrie par les manifestations qui rassemblent des foules choquées par la mort d’un Noir américain sous le genou d’un policier blanc le 25 mai à Minneapolis.

Des manifestants de toutes origines, Noirs et Blancs mêlés, protestent pacifiquement contre les discriminations et les violences dont ils accusent, preuves à l’appui, les forces de police. Donald Trump n’a aucun mot de compassion à l’égard de ces protestataires, qu’il traite par le mépris. Le mouvement gagne de nombreux pays d’Europe, où l’on a les yeux fixés sur l’Amérique. « Ce réjouissant sursaut civique, commente Le Monde, contrebalance l’image détestable que donne Donald Trump de son pays ». « C’est une autre version, plus plaisante, d’« America first », écrit Sylvie Kauffmann dans le quotidien français.

Un train peut en cacher un autre

Plusieurs commentateurs soulignent aujourd’hui ce renversement de perspectives. A côté de l’Amérique qui a voté Trump et qui continue de se reconnaître en lui, il existe une autre Amérique, souligne l’universitaire Olivier Morel dans le même journal, « aimante, hospitalière, diverse et démocratique ». En réponse à la contre-révolution qu’incarne le président américain, une nouvelle révolution, porteuse des valeurs d’égalité et de fraternité, cherche à s’affirmer sur la scène politique américaine. « Trump a peut-être bel et bien déclenché cette vague révolutionnaire qu’il redoutait », écrit le professeur de droit Bernard E. Harcourt.

« Un train peut en cacher un autre », confirme l’ancien commissaire européen et ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy dans sa préface au livre de Renaud Lassus Le Renouveau de la démocratie en Amérique (Odile Jacob). Alors que, selon lui, « le train Trump nous offre un spectacle quotidien de bruit et de fureur, de cynisme, de brutalité qui ne cesse de nous stupéfier », en sens inverse « un autre train américain est parti, porteur de changements et même de bouleversements de grande ampleur qui devraient nous intéresser ». On ne connaît pas encore la portée de l’évènement mais, selon Pascal Lamy, il « signe probablement la fin de la révolution conservatrice des années 1980 ».

Pour Renaud Lassus, chef du service économique de l’ambassade de France aux Etats-Unis, les fortes tensions qui affectent la vie du pays et qui ont permis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir sont « la conséquence de fragilités qui se sont développées dans de nombreux domaines, depuis plus d’une génération » sous l’effet de chocs violents de toute nature. « Pourtant, ajoute-t-il, ces fragilités ne constituent qu’une partie de la réalité. Elles masquent d’autres évolutions importantes et essentielles ». Selon l’auteur, « il y a une autre réalité américaine : celle d’un grand renouveau de l’action et de la réflexion en faveur de la démocratie ». C’est le thème de son livre, qui évoque un pays « à la veille d’un moment profond de refondation », appuyé sur « des facteurs de résilience traditionnels de la démocratie américaine, comme la force de la société civile ou la croyance dans le progrès scientifique ».

Un espoir est né

Le mouvement de protestation contre les actes racistes pourrait être l’un des signes, parmi d’autres, de ce retournement, dont les errements de Donald Trump, face à la crise du coronavirus d’abord, face à la brutalité policière ensuite, ont été, malgré lui, le déclencheur. La mobilisation d’une partie de la jeunesse dans la campagne des primaires démocrates a fait également souffler un vent de changement, même si le candidat désigné au terme du processus, Joe Biden, est loin d’être un homme nouveau. Quoique battu par l’ancien vice-président, le sénateur Bernie Sanders n’avait pas tort de souligner la volonté de renouvellement exprimée par sa candidature. « Nous sommes un mouvement populaire multiracial et multigénérationnel qui a toujours cru qu’un véritable changement ne venait jamais de haut en bas, mais toujours de bas en haut », a-t-il affirmé en annonçant son retrait. Ce mouvement n’a pas disparu. Il est porteur de transformations.

Sans doute faut-il se garder de sur-interpréter ce qu’il se passe aujourd’hui aux Etats-Unis. Le réveil américain dont parlent les commentateurs reste incertain. Donald Trump est affaibli mais il peut encore être réélu à la présidence en novembre prochain. Toutefois un espoir est né, celui d’une Amérique fidèle à ses principes originels, fondés, selon la Déclaration d’indépendance de 1776, sur la liberté, la justice, les droits de l’homme. Si l’Amérique redevient elle-même, ce sera une bonne nouvelle pour les Américains mais aussi pour les Européens, qui pourront renouer avec leur grand allié les liens que Donald Trump a choisi de rompre.