Une campagne qui a changé Moscou

La campagne pour l’élection du maire de Moscou a changé le climat politique dans la capitale russe, voire dans l’ensemble du pays. Bien que le maire sortant qui avait été nommé par Vladimir Poutine en 2010 ait été réélu dès le premier tour avec un peu plus de 51% des voix, le succès de l’avocat-blogueur Alexei Navalny, qui a recueilli quelque 28% des suffrages, a été une surprise bienvenue pour ses partisans, désagréable pour le Kremlin. Une analyse de la campagne et de ses conséquences politiques a été proposée récemment par l’Observatoire de la Russie du CERI, avec Marie Mendras, Galia Ackerman, Sergueï Gouriev et Nina Berezner. 

Alexei Navalny a acquis une stature nationale en Russie depuis la campagne pour l’élection du maire de Moscou. Entre le début et la fin de l’été, l’atmosphère dans la capitale avait complètement changé, raconte Galia Ackermann. Au mois de juin, on avait l’impression que le mouvement d’opposition à Vladimir Poutine s’était dégonflé, peu de monde dans les manifestations, de vieux slogans qui traînaient – sauf tout de même quelques-uns réclamant la liberté pour les prisonniers politiques. Toutefois, la peur semblait avoir disparu. Une équipe française tournait un documentaire dans la rue lorsqu’un opposant fit une intervention violente à la terrasse d’un café pour protester contre la dilapidation de milliards de roubles à Sotchi, pour les prochains Jeux olympiques d’hiver, avant de fuir précipitamment. La seule réaction de la patronne du café fut : « Vous qui avez filmé, n’oubliez pas de mentionner le nom de notre café dans votre film ! »

Retour à Moscou deux mois plus tard : Navalny avait changé la ville. La campagne avait été soutenue par de petits dons sur internet, un état-major de 300 personnes et près de 15 000 activistes volontaires s’étaient donnés à fond. Pas un quartier de la capitale qui ait été négligé. Une campagne à l’américaine, avec enthousiasme ; on faisait des journaux de quartiers, on distribuait des autocollants, on fournissait des explications sur les problèmes concrets des habitants de Moscou… La Russie a vu apparaître un homme qui peut conquérir Moscou et peut-être le Kremlin.

Le procès de Kirov

Pourquoi alors le pouvoir avait-il libéré l’avocat qu’il venait d’emprisonner sous des accusations de fraudes et de corruption ? Sergueï Sobianine, le maire de Moscou, nommé par Poutine en 2010, voulait par une élection « démocratique » consolider son assise ; mettre son principal concurrent hors d’état de concourir ne lui rendait pas service. Sur ordre du Kremlin, le tribunal de Kirov a donc remis Navalny en liberté en sa qualité de candidat à la mairie de Moscou. Le procès en appel de sa condamnation doit avoir lieu en octobre. Que va-t-il se passer ? On l’ignore. 

Cette campagne a électrifié l’électorat contestataire. Il n’avait donc pas disparu après les manifestations de fin 2011-début 2012 contre les fraudes aux élections législatives et présidentielle. Il a suffi d’une campagne à la Clinton ou à la Obama, avec une femme belle et deux enfants – sans les mêmes moyens financiers ! – mais avec la même énergie, pour le relancer. Les volontaires sont allés dans toute la ville avec du matériel de propagande et des petites statues du maire sortant, à planter par dérision dans les squares et les cours.

Navalny était formellement candidat des partis d’opposition mais il s’en est très vite démarqué. Il est en quelque sort sorti du système. Ce ne sont pas seulement les gens de Poutine qu’il a critiqués, mais aussi les hommes politiques de l’opposition traditionnelle, les mêmes depuis vingt ans, qu’il considère vieux jeu, comme tous les parlementaires. Il ne s’appuie pas sur une opposition politique, mais plutôt sur des personnalités extra politiques. Les politiques sont parfois à ses côtés mais ils sont venus tout seuls, dit-il, personne n’est allé les chercher.

Un leader charismatique

« Pour que les choses changent en Russie, il faut un leader. » Tout le monde n’aime pas Navalny, loin de là. On lui reproche d’être nationaliste, vire xénophobe, de dénoncer les immigrés pour chercher des soutiens douteux. « Il a évolué », affirme Sergei Gouriev, ancien directeur adjoint de l’Institut d’économie de Moscou, réfugié à Paris, désormais professeur à Sciences-Po, qui fut son conseiller dans la campagne pour la mairie de Moscou. Il a changé depuis le temps où son blog commençait à faire connaître à la fois son opposition à Poutine et son attitude hostiles aux citoyens des anciennes républiques soviétiques qui viennent chercher du travail à Moscou.

Navalny ne parle pas au nom d’un parti, il s’adresse directement à la foule. Il lui dit : « Nous formons une équipe, vous et moi. Un pour tous, tous pour un. » Il veut une relation directe entre le leader et le peuple, s’appuie sur des personnalités extrapolitiques pour former un mouvement de masse moderne et volontaire. Avec Moscou pour objectif ? A cette question, Navalny répondu en montrant la muraille du Kremlin, siège du pouvoir de toute la Russie.