La crise que traverse la Belgique est-elle d’une gravité sans précédent, comme on le dit ici et là dans l’attente — et la crainte — d’une explosion du pays ? Non, répond Emily Hoyos, présidente du Parlement wallon, invitée des associations Notre Europe et Europanova, mardi 30 novembre, à la Maison de l’Europe à Paris. La Belgique est habituée aux crises, explique l’élue écologiste, et celle-ci n’est pas vécue sur place « comme une grave crise politique ». Ce qui est nouveau, pense-t-elle, c’est que le débat dévie « des questions institutionnelles vers les questions socio-économiques ».
Blocage socio-économique
Sur les questions institutionnelles, on a beaucoup avancé, estime Mme Hoyos, en application du programme défini en 1999 par le Parlement flamand. Il est vrai que la scission éventuelle de l’arrondissement judiciaire et électoral Bruxelles-Hal-Vilvoorde reste un motif de discorde, mais pour le reste on est déjà allé très loin dans la mise en place d’un Etat fédéral. En revanche, le blocage reste total sur le plan socio-économique, c’est-à-dire sur la fiscalité et la solidarité.
Le succès de la Nouvelle alliance flamande (NVA), la formation indépendantiste que dirige Bart De Wever et qui a obtenu 30 % des voix en Flandre aux dernières élections législatives, traduit chez certains une crispation identitaire, souligne Mme Hoyos, mais elle exprime chez d’autres la volonté d’obtenir de nouveaux leviers pour la transformation économique de leur région. C’est sur cette question que les discussions achoppent, rendant difficile la formation d’un nouveau gouvernement six mois après les élections de juin.
La scission n’aura pas lieu
En attendant, à l’étonnement de beaucoup, le pays, malgré ces désaccords, est convenablement géré. Comment cela est-il possible ? D’abord parce que le gouvernement chargé des affaires courantes garde « une vraie capacité d’action législative », au nom d’une conception extensive des affaires courantes. Ensuite parce que les régions et les communautés continuent d’exercer leurs compétences, qui ne sont pas négligeables, notamment dans le soutien à l’initiative économique.
Cette organisation des pouvoirs donne aux négociateurs le temps de trouver une solution. Mme Hoyos pense même que ceux-ci préfèrent attendre la fin de la présidence belge de l’Union européenne, le 31 décembre, pour parvenir à un accord. « La scission n’aura pas lieu », conclut la présidente du Parlement wallon, qui n’exclut pas une évolution vers une formule confédérale.
Quelles conséquences pour l’UE ?
Les inquiétudes sur l’avenir de la Belgique seraient donc exagérées ?
Ce n’est pas tout à fait l’avis de Gaëtane Ricard-Nihoul, secrétaire générale de Notre Europe. Selon elle, les négociations précédentes ont permis de nombreuses avancées sur la voie de la fédéralisation de sorte qu’on arrive aujourd’hui au « noyau dur » des compétences. Mme Ricard-Nihoul se dit préoccupée par les conséquences d’une éventuelle séparation entre Flamands et francophones.
Elle estime que la construction européenne a constitué à la fois un frein et un accélérateur. Un frein en obligeant les deux parties à se concerter et à se coordonner dans leurs discussions avec leurs partenaires européens. Un accélérateur en leur offrant une solution de rechange. « On a moins peur du vide, note-t-elle, on a moins peur d’être trop petits ». Mme Ricard-Nihoul note aussi que la Belgique exerce sans problèmes, jusqu’à la fin de l’année, la présidence tournante de l’Union européenne. Une présidence bien préparée par ses diplomates, estime-t-elle, et facilitée par la nomination d’un Belge, Herman Van Rompuy, à la présidence stable du Conseil européen.
La dimension symbolique
Elle redoute les effets d’une partition du pays sur la construction européenne. Elle craint d’abord « l’effet de contagion » qui pourrait encourager les séparatismes dans d’autres pays, comme l’Espagne ou l’Italie. Elle s’inquiète aussi des difficultés qu’entraînerait la renégociation des traités rendue nécessaire par l’adhésion des deux nouvelles entités à l’UE. « On ne connaît pas de cas de scission d’un Etat membre », rappelle-t-elle. Enfin, Mme Ricard-Nihoul insiste sur la « dimension symbolique » d’une telle décision qui, en mettant à mal le principe de solidarité, enverrait un « message négatif ». Le Belgique a été l’un des moteurs majeurs de l’intégration européenne, souligne-t-elle. Il n’est pas sûr qu’elle le demeure, une fois divisée.
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