Une « eurorévolution » contre Ianoukovitch

En refusant de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, le président ukrainien a déclenché une révolte populaire qui rappelle la « révolution orange » de 2004 et qui provoque une crise de régime. Les experts du CERI s’interrogent.

C’est une histoire qu’on raconte en Ukraine, une petite fable satirique sur le passé trouble du président Viktor Ianoukovitch. Celui-ci pêche un jour un poisson d’or qui l’invite à formuler trois vœux. Ah ! Si j’avais une belle voiture ! murmure le président. Une splendide Mercédès vient se ranger près de lui. Ah ! Si j’avais une belle femme ! Une magnifique créature se glisse à ses côtés. Ah ! Si j’avais vingt ans de moins ! Et il se retrouve en prison.

Qui est Viktor Ianoukovitch ? « Un chef de clan de Donetsk, une ancienne petite frappe », répond Philippe de Suremain, ancien ambassadeur de France à Kiev, qui rapportait l’histoire du poisson d’or, mercredi 4 décembre, à l’occasion d’un débat organisé par le CERI (Centre d’études et de recherches internationales) sur la situation en Ukraine. La personnalité du président ukrainien est au centre des interrogations des experts. Est-il pro-russe, comme on le dit souvent ? Ou pro-européen, comme on le prétend parfois ? Ni l’un ni l’autre, estime Philippe de Suremain, il est « pro-Donetsk ». Ses sympathies pro-russes, dit-il, ont été exagérées. L’ancien ambassadeur rappelle qu’entre les Ukrainiens et les Russes les relations sont ambivalentes et qu’elles contiennent autant de méfiance que d’affinités.

Thornike Gordadze, ancien ministre géorgien, chercheur associé au CERI, souligne que Viktor Ianoukovitch n’est pas plus pro-russe qu’Alexandre Loukachenko en Biélorussie ou Serge Sarkissian en Arménie, deux Etats qui ont choisi Moscou contre Bruxelles. Il s’est rallié à la Russie parce que les pressions de Vladimir Poutine étaient trop fortes. Nicu Popescu, chercheur (moldave) à l’Institut d’études européennes de sécurité de l’Union européenne, note que le choix pro-européen était plus facile pour la Géorgie et la Moldavie – les seuls pays qui ont paraphé l’accord d’association – que pour l’Ukraine, dont près du tiers du commerce extérieur se fait avec la Russie.

Une journée noire pour Viktor Ianoukovitch

 

Comment expliquer la révolte des Ukrainiens contre leur président, à l’exemple de la « révolution orange » de 2004 ?

Marie Mendras, chercheur au CERI et au CNRS, estime que Viktor Ianoukovitch a perdu à Vilnius, où devait être signé le « partenariat oriental » proposé par l’Union européenne, « le peu de légitimité qui lui restait » et qu’il lui sera impossible de « reconstruire une crédibilité, une autorité ». Vilnius, qui s’annonçait comme une rencontre banale, est devenu un événement historique, un « révélateur de réalité ». Une « journée noire » pour le président ukrainien, qui s’est montré une fois de plus « ambigu » et « fuyant ». Une « déconfiture totale ».

Philippe de Suremain évoque la « profonde frustration » des Ukrainiens devant la dégradation de la situation économique et sociale du pays et leur « indignation » face au développement de la corruption et de la prévarication. Thornike Gordadze souligne le « ras-le-bol » des Ukrainiens à l’égard de celui qui a « éteint la lumière au bout du tunnel », assombrissant leur avenir au nom d’une sorte de « no future ». Si la Géorgie et la Moldavie, à la différence de l’Ukraine, ont pris le chemin de l’Europe, c’est aussi, dit-il, parce qu’elles se sont engagées sur la voie des réformes et que les « élites post-communistes » n’y sont plus au pouvoir. Théâtre d’une nouvelle révolution qui peut être qualifiée d’« euro-révolution », l’Ukraine affronte désormais, selon Jacques Rupnik, chercheur au CERI, une « crise de régime ».

L’exaspération de Vladimir Poutine

Pour le moment, personne n’est gagnant. L’Union européenne enregistre un échec, qui met en cause l’avenir de sa politique de voisinage. L’Ukraine était, selon Marie Mendras, la « mascotte » du partenariat oriental. Sa dérobade lui porte un coup sévère. « C’était une erreur de croire, dit-elle, que Viktor Yanoukovitch pouvait tenir un engagement ». Ce n’est pas non plus un succès pour Vladimir Poutine, ajoute-t-elle, mais plutôt un sujet d’inquiétude. Le souvenir de la « révolution orange » est pour lui un « cauchemar ». Son « exaspération » face à la révolte ukrainienne produit un effet de miroir sur les méthodes de la Russie, qui peut l’affaiblir dans ses négociations avec l’Union européenne.

En Ukraine même, où s’est installé, comme dans d’autres pays d’Europe orientale, un « régime hybride », selon Jacques Rupnik, ni démocratie libérale ni dictature, l’opposition n’a pas encore trouvé les dirigeants qui pourraient la conduire à la victoire, même si le champion de boxe Vitali Klitschko, chef de file du mouvement Oudar, émerge comme un prétendant sérieux et si Ioulia Timochenko, emprisonnée depuis deux ans, n’a pas dit son dernier mot. Au moment où la popularité de Viktor Yanoukovotch décline, la prochaine élection présidentielle, qui, sauf démission anticipée, aura lieu en 2015, sera un test décisif.