A la frontière orientale de l’Union Européenne, la Biélorussie est un pays étrangement isolé. Elle n’est pas membre du conseil de l’Europe. Elle a des relations ambigües avec la Russie. Or son isolement est volontaire, il est une des composantes de ce régime très particulier qu’a établi le président Loukachenko : un homme, un appareil de sécurité, la fermeture, y compris sur le plan économique. Les habitants du pays ne peuvent guère sortir, faute de devises. Ils n’ont pas même pas celles qui leur permettraient d’acheter les visas. L’Etat lui-même ne peut plus convertir ses fonds pour payer à Moscou les 12% de l’électricité du pays que lui fournit la Russie, qui vient de couper l’alimentation.
Avant les élections de décembre 2010, des hommes d’affaires européens ou américains ont fait quelques visites dans le pays, signé quelques contrats. Ils ont été suivis par certains ministres des affaires étrangères – et non des moins concernés, en tant que voisins : l’Allemand Guido Westerwelle, le Polonais RadekSikorski…On a même rêvé d’une nouvelle perestroïka, on a cru au changement.
Le soir du scrutin, la place centrale de Minsk en fin d’après-midi était déserte. Puis soudain, vers 19 heures, des gens sont arrivés, nombreux, en masse. A 20 heures, la place était noire de monde. Et la police a chargé. Contrairement aux promesses de Loukachenko. Les ministres des affaires étrangères des pays voisins, le Polonais Sikorski, l’Allemand Westerwelle, le Tchèque Schwarzenberg et le Suédois Carl Bildt, indignés, publient ensemble un article intitulé : « Loukachenko, le looser ». L’Union Européenne décide de prendre des sanctions après ces élections truquées.
Pendant ce temps la voisine de l’Est, la Russie, avait pris ses distances avec Loukachenko avant les élections, notamment par la voix de Dmitri Medvedev, qui déclarait tout de go : « Dans ses commentaires, le président Loukachenko sort du cadre non seulement du protocole diplomatique mais aussi de la décence humaine la plus élémentaire. Cependant cela ne m’étonne pas. » Et encore « Un flot d’accusations et d’injures a été dirigé directement contre la Russie et ses dirigeants. Toute la campagne électorale de M. Loukachenko est fondée dessus. […] Bien sûr, ce n’est pas ce qui définit les relations entre nations et entre individus. »
Une fois Loukachenko conforté dans son pouvoir, l’attitude de la Russie est redevenue pragmatique. Devant la situation économique désastreuse de la Biélorussie, elle propose des prêts en échange de privatisations en faveur d’entreprises russes. Des gages sur l’avenir ne sont pas inutiles.
L’Europe, elle, demande la libération des prisonniers politiques comme condition de l’aide. Mais elle est divisée sur la question des sanctions, sur leur nature, comme elle l’est vis-à-vis de la Russie.
LaBiélorussie est-elle une dictature comme les autres ? On a tenté de faire des comparaisons, ou d’établir des relations, entre les manifestations des opposants biélorusses et le « printemps arabe ». Les régimes autoritaires sont imprévisibles, on ne sait pas comment discuter avec eux. Combien de temps a-t-il fallu pour dire à Moubarak " Vous êtes inacceptable " ?, et pour le dire à Kadhafi ? Quand dirons-nous à Loukachenko, nous Européens, « vous êtes inacceptable » s’interroge Pavol Demes.
L’Union européenne a pratiqué une politique de la conditionnalité qui fonctionnait assez bien, mais que vaudrait cette politique sans la perspective d’une adhésion ? Quant au Partenariat oriental, lorsqu’il fut lancé à Prague en mai 2009, il était évidemment impossible d’inviter Loukachenko dans la ville de Vaclav Havel. Karel Schwarzenberg est allé à Minsk inviter la Biélorussie à joindre le Partenariat à condition que Loukachenko ne vienne pas à Prague ! L’ensemble des pays situés entre la Russie et l’Union européenne ne constitue pas une entité particulière, mais si l’UE veut être globale, il faut qu’elle commence par développer l’image de son identité dans son proche voisinage.
La Russie est actuellement plus engagée que l’UE en Biélorussie, elle ne s’y occupe pas des droits de l’homme, mais d’union douanière et d’énergie. Ayant atteint ses objectifs stratégiques, Moscou n’est pas ouvert à la discussion. Mais l’exemple du printemps arabe montre que ce qui peut changer les choses, ce ne sont pas les politiques de l’UE ou des Etats-Unis, mais que le mouvement vient de l’intérieur ; les révolutions arabes, avec le rôle joué par les réseaux sociaux, prouvent à tous qu’on peut changer la situation. C’est de la tête des gens que vient l’espoir.
Pour aider la société civile, la Pologne, qui a pris le 1er juillet la présidence tournante de l’UE, et le conseil européen avec son Service d’action extérieure devront mener une politique intelligente en Biélorussie : ils devront continuer à mettre cette question sur leur agenda, exercer des sanctions qui soient efficaces, tenir un langage clair vis-à-vis de Loukachenko et soutenir la société civile.