L’élection aux allures de plébiscite (58%) de Ma Ying-jeou traduit une volonté de normalisation. Et le nouveau président, membre du Kuomintang (KMT) apparaît comme un interlocuteur rassurant. Avec son doctorat de droit de Harvard et un physique de jeune premier entretenu par des joggings quotidiens, le nouveau président âgé de 57 ans, réputé pour une urbanité sans faille, n’a cessé de donner des gages de détente. M. Ma prône un « accord de paix » avec Pékin. Il laisse entendre qu’il mettra en sourdine la lutte d’influence sans merci que Taipei et Pékin se livrent sur la scène internationale. Il se prononce pour un « marché commun » et la reprise des services postaux et commerciaux avec le continent, interrompus depuis près de 60 ans. Prudent, Ma Ying-jeou prône le maintien du statu quo en vigueur : ni indépendance ni réunification.
Le dialogue politique entre Taïwan et la Chine continentale était rompu depuis que le Parti démocrate progressiste (DPP), dirigé par le président Chen Shui-bian, avait pris les commandes de l’île en 2000, mettant fin à 51 ans d’hégémonie du parti nationaliste Kuomintang (KMT). Dans un jeu d’intimidation un peu convenu, Taipei faisait parader chars et missiles en jurant de défendre l’île jusqu’au dernier souffle tandis que Pékin menaçait de noyer la rebelle sous un déluge de feu si elle officialisait son indépendance de fait datant de 1949. Cette année-là, les forces nationalistes du fondateur du Kuomintang, Chiang Kai-shek, battues par les communistes, se réfugièrent à Taïwan, où furent transférées les institutions de la République de Chine (ROC) tandis que les communistes fondaient sur le continent la République populaire de Chine (RPC). La Chine considère depuis sa petite voisine comme une possession en attente de réunification et son Parlement a adopté en 2005 une loi antisécession légitimant le recours à la force en cas de déclaration d’indépendance formelle.
Nouveau climat politique
Champion de la souveraineté nationale, Chen Shui-bian, qui quitte ses fonctions le 20 mai, s’est illustré par une politique de défiance systématique, se donnant pour principe de ne donner aucun signe d’appartenance au continent. Jusqu’à refuser le passage dans l’île de la flamme des JO de Pékin. Le symbole olympique était censé traverser l’île juste après une incursion dans la province autonome chinoise du Tibet, un itinéraire inacceptable aux yeux de l’administration Chen, soucieuse de ne pas se voir rabaissée au rang de province communiste. Dans un geste hautement symbolique, Chen avait également abrogé, en février 2006 un organisme ayant pour but ultime la réunification de l’île, un rêve caressé depuis toujours par le régime communiste Au point d’indisposer le puissant allié américain, qui redoute une flambée des tensions dans cette région et de retrouver impliquer malgré lui dans un conflit. La Secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice avait rappelé à l’ordre son petit allié à plusieurs reprises en condamnant ses « provocations ».
Les Etats-Unis sont dans une position inconfortable : ils reconnaissent la Chine communiste tout en fournissant des « armements défensifs » à l’île en vertu de la « loi sur les relations avec Taïwan » votée en 1979. Le texte autorise les Etats-Unis à « maintenir ou à résister à tout recours à la force ou d’autres formes de coercition qui mettraient en danger la sécurité de Taïwan ». C’est au nom de cette alliance que l’ancien président Bill Clinton avait dépêché deux porte-avions dans le détroit en 1996, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel à Taïwan, après des tirs de missiles de la Chine pour intimider les électeurs. Or cette stratégie de la « menace chinoise » brandie à l’envi et payante dans les urnes en 2000 et 2004, semble avoir fait long feu. Les quelque 17 millions d’électeurs demeurent certes jaloux de leur souveraineté mais semblent avoir massivement sanctionné une politique de confrontation systématique avec le voisin chinois.
Pour preuve, ils ont largement boudé les deux référendums couplés à la présidentielle de mars : le premier à l’initiative du DPP invitait les électeurs à se prononcer sur une hypothétique adhésion de l’île à l’ONU sous le nom de Taïwan. Le second, proposé par le KMT, demandait aux votants si le pays doit rejoindre les Nations-Unies et, si oui, sous quelle dénomination. Ces consultations, largement symboliques, qui nécessitaient au moins 50% de participation pour être validées, ont été dénoncées par une partie de la communauté internationale, Etats-Unis en tête, qui ont réprouvé une initiative propre à favoriser l’escalade des tensions.
Déséquilibre des forces
La République de Chine (ROC), nom officiel de Taïwan, a perdu en 1971 son siège à l’ONU au profit de la République populaire de Chine. Toutes les tentatives de reconquête par Taipei de son siège ont été systématiquement bloquées par la Chine. Taïwan, qui n’est reconnu que par 23 pays, a récemment connu des défections en cacade de ses soutiens diplomatiques, particulièrement en Afrique où elle a échoué à contrecarrer sa puissante rivale. Cette volonté affichée de dégel s’est matérialisée le 12 avril par une rencontre inédite entre le numéro un chinois Hu Jintao et le vice-président élu de Taïwan Vincent Siew. Les deux responsables sont convenus de relancer le dialogue officiel gelé depuis près de dix ans.
Pékin ne manquera pas de tirer avantage de ces signaux de détente pour infléchir l’équilibre des forces à son profit. Tout en gardant le cap sur son rêve de réunification de l’île avec la « mère patrie », sur le modèle de Hong Kong ou Macao A l’issue de la session annuelle du Parlement chinois début mars, le Premier ministre chinois Wen Jiabao avait cité à l’adresse des Taïwanais un antique poème qui n’est pas forcément pour les rassurer : « Frères, nous demeurons après toutes les vicissitudes, passons sur nos dissensions, esquissons un sourire au plaisir de nous revoir ».