Une nouvelle donne transatlantique ?

En dépit des brouilles et des incompréhensions qui affectent régulièrement les relations entre les Européens et les Américains, celles-ci restent l’un des piliers du monde occidental sur la scène internationale. Ces relations se sont détériorées durant le mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche. L’élection de Joe Biden permettra-t-elle de les rétablir ? C’est ce qu’espèrent, parmi d’autres, l’Allemagne et la France, dont les ministres respectifs des affaires étrangères, Heiko Maas et Jean-Yves Le Drian, viennent d’appeler, dans une tribune du Monde, à l’invention d’une « nouvelle donne transatlantique ». « Il y a beaucoup à réparer », disent-ils, en invitant l’Europe et l’Amérique à « repenser » leur partenariat « à la lumière des bouleversements qui redessinent aujourd’hui le monde » et à travailler « main dans la main » pour les affronter.

Les deux ministres ont raison. Les bouleversements dont ils parlent sont dans tous les esprits : ils se traduisent, entre autres, par la montée en puissance de la Chine, l’agressivité retrouvée de la Russie, l’aventurisme de la Turquie, l’expansion de l’Iran, le choc du terrorisme ou, dans un autre ordre d’idées, les ravages du réchauffement climatique et de la crise sanitaire. « Depuis quatre ans, soulignent les deux ministres, l’environnement international n’a cessé de se dégrader ». Pour répondre aux menaces de ce nouveau désordre mondial, l’intérêt des démocraties libérales est de s’unir. Pour Berlin comme pour Paris, « l’élection de Joe Biden ouvre la voie à un renforcement de l’unité transatlantique face aux autocrates et aux pays qui cherchent à asseoir leur puissance au mépris de l’ordre international ou des équilibres régionaux ».

Cette unité doit s’exprimer pour négocier avec la Russie sur la sécurité européenne comme avec la Chine sur le commerce, avec l’Iran sur le nucléaire ou, bien sûr, avec la Turquie sur la situation en Méditerranée orientale. Elle doit prévaloir dans les discussions entre Bruxelles et Washington sur le futur traité de libre-échange, qui est la source de multiples tensions. Elle doit rendre possible, selon l’expression des deux ministres, « une entreprise transatlantique de consolidation du multilatéralisme », avec le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le réchauffement climatique et au sein de l’OMS, instrument indispensable pour lutter contre la pandémie. La bonne entente entre l’Europe et la nouvelle administration américaine n’est certes pas acquise, mais la mise à l’écart de Donald Trump, en donnant un coup de frein au populisme, devrait permettre aux deux partis de réaffirmer leur communauté de valeurs.

Les temps ont changé

Comme l’a dit Emmanuel Macron en juin 2019 à Colleville, à l’occasion de la commémoration du 75ème anniversaire du débarquement, « à chaque fois que la liberté et la démocratie sont menacées, nous agissons ensemble et donc nous allons poursuivre ». La défaite de Donald Trump ne peut que favoriser l’application de ce principe. Il ne faut pas croire pour autant que les relations entre l’Europe et les Etats-Unis vont revenir à ce qu’elles étaient avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, dans une sorte de statu quo ante qui n’était peut-être, comme l’a dit le secrétaire d’Etat français aux affaires européennes, Clément Beaune, qu’un « âge d’or fantasmé ».

C’est que, de part et d’autre de l’Atlantique, les temps ont changé. Du côté américain, le fossé s’est creusé avec l’Europe, dès avant la présidence de Donald Trump. Le « pivot » vers l’Asie date de Barack Obama, son successeur n’a fait que l’accentuer. On voit mal comment il serait possible de revenir en arrière. C’est bien une « nouvelle donne transatlantique » qu’il convient de rechercher, et non une répétition du passé. Du côté européen, le paysage s’est également modifié. Les Européens ont choisi de développer ce qu’ils appellent une « souveraineté européenne », qui les éloigne des schémas de jadis. Même l’Allemagne, malgré quelques désaccords entre ses dirigeants, semble se rallier à cette perspective. L’Europe entend assumer une responsabilité dans la sécurité du Vieux Continent.

Voilà pourquoi il importe de reconstruire sur de nouvelles bases le lien transatlantique. Celui-ci a été mis plusieurs fois à l’épreuve au cours de l’histoire. Sa réinvention demandera des efforts de la part des uns et des autres.
Le partenariat entre les deux rives de l’océan devra être « plus équilibré », affirment Heiko Maas et Jean-Yves Le Drian. Il suppose que le dialogue s’ouvre avec la nouvelle administration américaine. Joe Biden y est-il prêt ? Les Européens sont-ils capables, de leur côté, de développer une vision commune ? Ces questions sont, pour le moment, sans réponse.

Thomas Ferenczi