Une nouvelle ère pour la politique américaine

La mort de Ben Laden ne signifie pas la fin du terrorisme islamique mais elle marque, pour les Etats-Unis, la véritable fin de l’ère Bush.

Mission accomplie. Barack Obama aurait été en droit de reprendre à son compte l’expression utilisée par son prédécesseur George W. Bush, il y a huit ans presque jour pour jour, pour signifier la fin de l’intervention américaine en Irak. Bush avait doublement tort : la guerre n’était pas finie et ce cri de victoire était d’une dangereuse exagération. Obama a eu l’habilité de ne pas tomber dans le même piège de la démesure. Pourtant l’exécution de Ben Laden, à la fin d’une traque de plus de dix ans, correspond bien à la « mission » que les Etats-Unis s’étaient fixée après les attentats du 11 septembre : mettre hors d’état de nuire l’instigateur des attaques contre les intérêts et les citoyens américains dont les premières remontaient à 1998. La chasse à Oussama Ben Laden est la raison première invoquée en octobre 2001 pour intervenir en Afghanistan. Et c’est aussi la raison pour laquelle les alliés de Washington participent à l’opération « enduring freedom » (liberté pérenne) contre les talibans accusés d’avoir offert un refuse au fondateur d’Al Qaïda.

Ainsi se referme une période de près de dix ans qui aura durablement marqué les Etats-Unis, et pas seulement leur politique extérieure. Barack Obama a été élu en 2008, dans une large mesure parce qu’il représentait l’anti-Bush. Son origine, sa formation, son discours étaient aux antipodes de ceux de George W. et une majorité des électeurs américains étaient las de la rhétorique messianique qui avait entrainé leur pays dans deux guerres, en Afghanistan et en Irak, à l’issue incertaine. Cette majorité ne comprenait pas, ou ne comprenait plus, en quoi les intérêts nationaux étaient concernés dans ces aventures.

Obama a mis fin à la guerre en Irak mais il a dû assumer l’héritage de la guerre en Afghanistan, une guerre « de nécessité » par opposition à une guerre « de choix », selon les expressions consacrées. A Bagdad, le régime de Saddam Hussein avait été détruit et un semblant de démocratie avait été établi. Du moins, la thèse était-elle crédible. A Kaboul, au contraire, le « travail » ne pouvait passer pour terminé aussi longtemps que Ben Laden était en liberté. Même au niveau du vocabulaire, l’administration démocrate s’est vu contrainte de marcher sur les traces républicaines. Comme le « surge » (le renforcement des troupes) a été à la base de la politique Bush en Irak, Barack Obama a décidé un « surge » en Afghanistan, sous la direction du même général Petreaus (qui vient d’être nommé directeur de la CIA).

A l’intérieur, les démocrates n’ont pas vraiment relâché les contraintes pesant, depuis les attentats du 11 septembre, sur les libertés publiques.

La fin de la paranoïa ?

Le président n’a pas été en mesure de tenir sa promesse sur la fermeture de la prison de Guantanamo et la fin des procédures extrajudiciaires. Il n’est pas certain que la mort de Ben Laden permette un retour à une situation plus normale eu égard au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Mais il est possible d’espérer, comme le note un commentateur du magazine en ligne The New Republic, la fin de la période « paranoïaque » de la politique américaine.

En politique étrangère, cependant, les changements seront sans doute plus marqués. La lutte contre le terrorisme devrait prendre une forme plus diversifiée en l’absence désormais de l’épouvantail unificateur qu’était la figure de Ben Laden. La « guerre » entre les Etats-Unis et Al Qaïda, propice à tous les fantasmes, n’aura plus lieu. Le combat contre le terrorisme redeviendra ce qu’il devrait être, une action de tous les jours, patiente, déterminée, fondée aussi bien sur le renseignement humain que sur des moyens ultrasophistiqués. Mais certainement plus le déploiement d’énormes contingents, comme en Irak et en Afghanistan, dont l’efficacité laisse d’ailleurs à désirer.

L’attitude de Washington en Libye est aussi un bon indice de ce changement. Les Etats-Unis participent avec des drones quand leurs alliés envoient des équipages bombarder les troupes du colonel Kadhafi.

Barack Obama pourra accélérer le départ des troupes américaines – et internationales – d’Afghanistan sans donner l’impression de subir une défaite. La victoire, il l’a déjà remportée avec l’exécution de Ben Laden. Il n’est plus question de « croisade » contre les talibans, contrairement aux proclamations de George W. Bush. L’ancien président républicain avait d’ailleurs réduit ses ambitions. Il ne s’agissait plus pour lui de créer un Afghanistan démocratique mais de s’assurer simplement que le pays serait « stable ». Aujourd’hui les Etats-Unis doivent une compensation au Pakistan afin de faire oublier la violation incontestable du droit international que constitue l’incursion du commando américain dans la ville d’Abbottabad, à quelque cinquante kilomètres de la capitale politique Islamabad. Cette contrepartie a peut-être été déjà négociée : un retrait d’Afghanistan qui laisserait le champ libre à un gouvernement d’union nationale avec des talibans baptisés « modérés » pour la circonstance.

La mort de Ben Laden ouvre de nouvelles possibilités au président américain. Volontiers comparé à Jimmy Carter par ses adversaires républicains, soupçonné de faiblesse alors qu’il est, de par la constitution, commandant en chef des forces armées, Barack Obama a montré qu’il savait prendre des décisions risquées mais courageuses quand l’intérêt national américain était en jeu. Il peut maintenant se permettre de développer sa propre politique étrangère sans être accusé d’être un adepte de l’apaisement.