La mort de Ben Laden ne va pas mettre fin, comme par enchantement, aux actions d’Al-Qaida. Elle ne va pas non plus entraîner le retrait immédiat des troupes de l’OTAN en Afghanistan. Mais, selon des experts réunis par l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) le 11 mai, cet événement est l’occasion de s’interroger sur les conditions du transfert aux forces afghanes, le moment venu, des responsabilités de la sécurité dans le pays.
L’année 2011, en effet, n’est pas seulement celle de la disparition du chef d’Al-Qaida, elle est aussi celle du début du retrait des forces américaines, qui conduit à se demander, avec le chercheur Karim Pakzad, si les autorités afghanes seront capables d’assurer, dans les années à venir, une tache que près de 150.000 soldats peinent à accomplir. Ce débat va sans aucun doute monter en puissance à mesure que l’échéance se rapproche, à mesure aussi, comme le souligne Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, que se profilent les élections présidentielles de 2012 en France et aux Etats-Unis.
La nécessaire réconciliation
Comment retirer les troupes de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité) sans précipiter l’Afghanistan dans le chaos ? « Le gouvernement afghan n’est pas en mesure de prendre en charge les missions de la FIAS », affirme l’ancien ambassadeur Christian Lechervy. Pour lui, le processus de transition doit donc passer par la « réconciliation » des factions en présence. Les experts s’accordent pour dire qu’une solution militaire est exclue et que seule une solution politique permettra de rétablir la paix.
Comme le rappelle le général Vincent Desportes, l’une des règles de la guerre est que « c’est avec son adversaire que l’on fait la paix ». Il faudra donc, en fin de compte, négocier avec les talibans. Ceux-ci y sont-ils prêts ? Selon le général Pierre Chavancy, qui a commandé sur le terrain une brigade française, « les talibans ont perdu la bataille de la conviction » auprès d’une population qui « se désolidarise » et « ne croit plus au djihad ». Invité de l’IRIS, Abdullah Abdullah, chef de l’opposition, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2009, estime que la discussion avec les talibans n’est qu’une infime partie du processus politique et que celui-ci, pour être « global », passe aussi par l’établissement de la démocratie, qu’il juge bafouée par son vainqueur, Hamid Karzaï.
N’est-il pas trop tard ?
Serge Michailof, ancien directeur exécutif de l’Agence française de développement, souligne qu’il aurait mieux valu commencer par la construction d’un Etat moderne, doté d’un appareil d’Etat solide et attentif à la relance de l’économie rurale. Cet objectif peut-il encore être atteint. N’est-il pas trop tard ? C’est toute la question. Sur ce point, si les uns affichent, comme l’ambassadeur afghan en France Omar Samad, un « optimisme prudent », d’autres sont nettement plus pessimistes.
L’anthropologue Georges Lefeuvre préfère, pour sa part, citer Senghor : « Il faut la patience du long apprentissage des libertés ». L’ancien ambassadeur Jean de Ponton d’Amécourt juge qu’un travail important a été accompli, même si beaucoup de temps a été perdu. Il estime que la mort de Ben Laden, en rendant visible la « duplicité » du Pakistan, peut accélérer les choses.
La question du Pakistan
La question du Pakistan apparaît comme centrale dans la crise qui déchire la région. L’Afghanistan est l’un des grands enjeux du conflit entre l’Inde et le Pakistan, chacun des deux pays cherchant à s’assurer le contrôle de Kaboul. Le soutien apporté aux talibans par Islamabad est l’instrument de cette stratégie tandis que Hamid Karzaï apparaît, selon les spécialistes, comme l’homme de New Delhi. Il n’y aura donc pas d’issue hors d’un accord indo-pakistanais. Aussi la plupart des experts jugent-ils nécessaire une approche régionale du problème afghan, qui pourrait passer par la convocation d’une conférence internationale ouverte aux deux pays mais aussi à leurs grands voisins, tels que la Russie et la Chine.
Plusieurs scénarios sont encore possibles, explique Christian Lechervy, qui vont du plus optimiste (la stabilisation de l’Afghanistan, avec la participation du Pakistan et la préservation des équilibres ethniques) au plus pessimiste (la recrudescence de la violence, marquée par le refus de toute négociation et la mauvaise volonté du Pakistan). Il dépendra des parties prenantes, et notamment des Etats-Unis, que l’avenir s’éclaire ou s’assombrisse.