Union européenne : la réforme ou le déclin

Un groupe de réflexion présidé par Felipe Gonzalez invite l’Europe à choisir entre la défense de son modèle économique et social, garant de son influence dans le monde, et sa marginalisation face à la montée des puissances émergentes. 

« La réforme ou le déclin » : tel est, selon le rapport du groupe des « sages » présidé par l’ancien premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, le choix qui se pose aujourd’hui à l’Union européenne. Pour les douze personnalités que le Conseil européen a chargées, en décembre 2007, de réfléchir à l’avenir de l’Europe, celle-ci aborde « un tournant historique »  : soit elle se montre capable de maintenir ou d’accroître sa prospérité, de défendre et de promouvoir ses valeurs et ses intérêts, bref d’être un « acteur du changement » sur la scène internationale, « créateur de tendances » plus que « simple témoin passif », soit elle se résigne à « s’enfoncer dans la marginalisation » et à « devenir une péninsule occidentale de plus en plus négligeable du continent asiatique ».

De Lech Walesa à Nicole Notat

Les douze sages, qui viennent de remettre leur rapport au Conseil européen, ont été choisis pour leur expérience d’acteurs ou d’observateurs de l’histoire européenne du dernier quart de siècle. Autour de Felipe Gonzalez siégeaient en effet deux anciens présidents de la République (le Polonais Lech Walesa, la Lettone Vaira Vike-Freiberga), une ministre en exercice (la Danoise Lykke Friis), un ancien commissaire européen (l’Italien Mario Monti) et des experts de diverses disciplines (l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, le journaliste britannique Richard Lambert, ancien rédacteur en chef du Financial Times, l’économiste suisse Rainer Münz, l’universitaire franco-grecque Kalypso Nicolaidis, la syndicaliste française Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, l’industriel finlandais Jorma Ollila, ancien PDG de Nokia, l’Allemand Wolfgang Schuster, maire de Stuttgart).

Répondre aux inquiétudes

Au terme de leurs travaux, sans être d’accord sur tout, les Douze ont présenté aux autorités européennes des conclusions dont ils reconnaissent eux-mêmes qu’elles « ne sont rassurantes ni pour l’Union ni pour nos citoyens ». Les motifs d’inquiétude ne manquent pas, selon eux : ils vont de la persistance de la crise économique aux menaces du terrorisme et de la criminalité organisée, en passant par le vieillissement de la population, le changement climatique et la dépendance énergétique. Un présent plutôt sombre, un avenir qui ne l’est pas moins : le diagnostic est sévère. « Si les vingt dernières années ont été déstabilisantes, les vingt prochaines le seront vraisemblablement davantage encore », affirment les « sages ».

Pourquoi ? Parce que la part de la richesse mondiale que détient l’Europe va inévitablement diminuer et qu’alors même que « son capital humain a longtemps constitué la base de son économie », d’autres régions du monde sont en train de la dépasser grâce à des niveaux plus élevés d’investissement dans la recherche, le développement technologique, l’innovation. 

Face à ces perspectives peu encourageantes, la voie du salut passe, selon le groupe de réflexion, par un programme de réformes ambitieux, assorti de priorités claires et de mécanismes de mise en oeuvre efficaces. La capacité d’influence de l’Europe, explique le rapport, dépendra de sa capacité à « garantir une croissance et une cohésion interne solides ». 

Renforcer la gouvernance économique

Les « sages » passent en revue les différents domaines dans lesquels doit s’exercer l’action de l’Union européenne : le modèle économique et social, la « croissance par la connaissance », le défi démographique, la sécurité énergétique et le changement climatique, la sécurité intérieure et extérieure, l’Europe dans le monde, l’ Europe et ses citoyens. On ne détaillera pas les nombreuses recommandations du rapport, dont le principal mérite est d’être solidement argumentées, à défaut d’être entièrement originales, et de couvrir l’ensemble du champ des politiques européennes. On retiendra en particulier l’accent mis sur le renforcement de la gouvernance économique et l’appel à des efforts de convergence entre les Etats membres.

Intensifier les efforts d’investissement

Le groupe propose de confier au Conseil européen la responsabilité de piloter la coordination économique, en respectant pleinement le rôle de la Commission, et en étroite coopération avec le Parlement. Il suggère aussi d’étendre les responsabilités de l’Eurogroupe en matière de coordination au sein de l’Union monétaire. Il invite notamment l’UE à renforcer les procédures de contrôle des budgets nationaux, à améliorer le fonctionnement et la surveillance des établissement financiers, à intensifier ses efforts d’investissement en se donnant les moyens législatifs d’attirer davantage d’investisseurs à long terme et en augmentant les ressources de la Banque européenne d’investissement.

Les « sages » estiment que le consensus autour du modèle européen « dépend du maintien de l’équilibre entre les dimensions sociale et de marché ». Ils constatent que « cet équilibre a été perturbé au fil du temps à mesure que les inégalités sociales se sont accrues ».

S’entendre sur une vision de la défense

Le groupe de réflexion appelle également l’Europe à « s’entendre sur une vision à long terme de sa défense », fondée sur « une répartition cohérente des responsabilités entre l’OTAN et l’UE ». Il souhaite la création d’un état-major européen doté d’un personnel suffisant et chargé de planifier, déployer et superviser les opérations des Vingt-Sept. Selon les « sages », la principale faiblesse de l’Europe dans ce domaine est « la nature fondamentalement nationale des systèmes de défense européens ». Faute de ressources militaires propres, notent-ils, l’UE dépend des contributions volontaires des Etats membres, qui sont souvent inadéquates. Le groupe convient toutefois qu’il n’y a pas de consensus en Europe sur l’utilité globale d’accroître les capacités de défense de l’Union.

Les « sages » prennent aussi position sur l’élargissement de l’UE. Celle-ci, écrivent-ils, « doit rester ouverte aux nouveaux membres potentiels et évaluer chaque candidature au cas par cas et en fonction de sa conformité aux critères d’adhésion ». C’est en fait là, ajoutent-ils, que se situent les véritables limites de l’Europe. Pour eux, l’Union doit honorer ses engagements à l’égard des actuels candidats officiels, dont la Turquie, et poursuivre le processus de négociation. Parallèlement elle devrait proposer aux futurs candidats potentiels, à titre de phase intermédiaire, des « accords d’envergure » préalables au lancement des négociations d’adhésion.

 

Le document peut être consulté sur Internet à l’adresse suivante :

http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/Reflection_FR_web.pdf