Vaincre les populismes

La réélection d’Emmanuel Macron a été saluée avec soulagement par tous ceux qui craignaient une victoire de Marine Le Pen et, avec elle, l’installation d’un pouvoir populiste, inspiré des exemples donnés en Europe par la Hongrie, la Pologne, voire la Russie. Le séisme redouté n’a pas eu lieu. Ceux qui sont attachés à l’Etat de droit et aux valeurs de la démocratie ne peuvent que s’en réjouir. En l’emportant largement sur sa rivale, le président sortant a écarté la menace d’une extrême droite autoritaire et nationaliste dont Mme Le Pen était et continue d’être la principale représentante en France.

Entre la xénophobie anti-européenne affichée par le Rassemblement national et l’ouverture au monde incarnée par Emmanuel Macron, les électeurs ont tranché. Les démocrates ont gagné face aux populistes, ces ennemis de la diversité, s’il est vrai, comme le souligne le politologue Jan-Werner Müller, que « l’essence du populisme, c’est l’anti-pluralisme ».

Pourtant ce succès ne doit pas occulter la belle performance de Marine Le Pen, dont le score dépasse le seuil des 40% et dont on a cru, entre les deux tours de l’élection, qu’elle pourrait l’emporter sur le président sortant. C’est l’autre fait majeur du scrutin de 2022 : jamais l’extrême droite n’a été aussi proche de la victoire, jamais elle n’a atteint un niveau aussi élevé. Il y a de quoi s’inquiéter de cette percée, qui laisse craindre à l’avenir des lendemains qui déchantent.

Ce phénomène n’est pas propre à la France. Dans plusieurs pays d’Europe, sans parler des Etats-Unis, où Donald Trump prépare son retour, les populismes progressent et s’approchent du pouvoir. Comme l’a déclaré l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin dans l’émission de la 5 « C’est à vous », « les régimes autoritaires avancent, avancent, les démocraties reculent, reculent ».

Une force incontournable

L’affrontement entre les uns et les autres est aujourd’hui le principal ressort de la vie politique sur le Vieux Continent. « Le camp souverainiste est devenu une force incontournable de la politique européenne », a déclaré en 2021 le premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui apparaît comme le chef de file de « l’illibéralisme », une notion qu’il a largement diffusée en Europe et qui n’est qu’un autre nom du populisme. Réélu premier ministre il y a quelques semaines pour la quatrième fois consécutive, Viktor Orban peut s’enorgueillir de ses succès, qui renforcent son autorité sur les populismes européens.

Certes la défaite de Marine Le Pen a été une déception pour le dirigeant hongrois, qui attendait de l’élection française un encouragement à ses idées et une extension du « camp souverainiste ». Ce n’est pas sa seule déconvenue. En Slovénie, le même jour, l’échec du premier ministre sortant, Janez Jansa, un de ses fidèles alliés, face à un adversaire libéral a été pour lui un sérieux revers. Quelques mois plus tôt, en République tchèque, l’éviction de son ami et admirateur Andrej Babis, au lendemain des législatives du 9 octobre, l’avait également contrarié. En revanche, en Serbie, la reconduction, le 3 avril, d’Aleksandar Vucic, auquel le lie une « relation spéciale », à la présidence de la République lui est apparue comme une bonne nouvelle. « L’illibéralisme » connaît ainsi à la fois des percées et des désillusions, comme on vient de le voir en France mais comme on l’a vu aussi en Italie, en Espagne, en Autriche, aux Pays-Bas ou dans les pays nordiques, où il reste influent. Il est aujourd’hui tenu à l’écart du pouvoir mais partout il est en embuscade.

Ces résultats contrastés montrent que le combat contre les populismes n’est pas perdu d’avance mais aussi que la menace demeure, à des niveaux variables selon les pays et selon les moments. Une menace qui devient particulièrement préoccupante quand elle prend un tour militaire, comme c’est la cas à l’Est de l’Europe. L’agression de l’Ukraine par la Russie peut en effet être interprétée comme une manifestation violente du conflit qui oppose dans une grande partie du monde les autocraties « illibérales » aux démocraties libérales. D’un côté, le nationalisme autoritaire de Vladimir Poutine. De l’autre, la défense des libertés et de l’Etat de droit sous la conduite de Volodymyr Zelensky, avec l’appui des Etats occidentaux. Voilà pourquoi il est impératif que les démocraties se donnent pour objectif prioritaire de vaincre les populismes – par les urnes ou, si nécessaire, par les armes.

Thomas Ferenczi