Vers la reconnaissance de l’Etat palestinien

La demande d’adhésion de la Palestine comme Etat membre des Nations unies, annoncée il y a plusieurs mois, a été déposée le 23 septembre par le président Mahmoud Abbas qui estime que la mise en place d’un Etat palestinien est légitime et possible. En effet, l’Autorité palestinienne a réussi à construire les bases d’un Etat grâce à la politique courageuse de Salam Fayyad : mise en place de structures administratives, assainissement financier, maîtrise de la sécurité. Les organisations internationales, comme la Banque mondiale ou le FMI reconnaissent les progrès ainsi accomplis. Mais, s’il y a consensus sur la création d’un Etat dans la communauté internationale, le désaccord demeure sur ses modalités de création et de nombreuses questions de fond restent à régler entre Israël et l’Autorité palestinienne. 

Ce geste de Mahmoud Abbas n’a pas été sans susciter polémiques et oppositions. Malgré les très fortes pressions, cette démarche était inévitable après l’échec du processus de paix initié il y a 18 ans par les accords d’Oslo. En dépit des efforts pour le revitaliser, les négociations sont restées dans l’impasse. Par delà la question du préalable de la suspension de la colonisation, il y a l’ampleur des désaccords qui existent entre le gouvernement israélien actuel et l’Autorité palestinienne. Il est clair que la position exprimée par B. Netanyahou le 14 juin 2009, dans son discours à l’université Bar Ilan, et rappelée encore récemment à l’ONU, ne peut servir de base à une négociation sérieuse car elle se fonde sur un quadruple refus : refus d’arrêter la colonisation, refus des frontières de 1967, refus de partager Jérusalem comme capitale, refus de reconnaître le principe du droit au retour. S’y ajoute la volonté de faire reconnaître Israël comme Etat juif et de maintenir sans délai une occupation militaire dans la vallée du Jourdain.

Ainsi la décision prise par Mahmoud Abbas apparaît d’abord comme marquant sa forte déception face au blocage total du processus de paix et sa volonté de sortir par le haut de cette impasse. C’est également une marque de défiance vis à vis du président Obama dans lequel le président de l’Autorité palestinienne avait mis tous ses espoirs en lui prêtant la volonté et la capacité, contrairement à son prédécesseur, de faire pression sur Israël pour faire avancer la négociation. Il est vrai que le président Obama avait suscité de grands espoirs, tant à travers le discours du Caire en juin 2009, dans lequel il avait déclaré que « la situation du peuple palestinien était intolérable » que dans les propos tenus à l’assemblée générale des Nations unies en 2010. Mais la campagne haineuse dirigée contre sa personne tant en Israël qu’aux Etats-Unis, le faisant en quelque sorte le fourrier du fanatisme musulman, et ses préoccupations de campagne électorale l’ont amené à une position qui, plus encore que celle du président Bush, est celle d’un alignement complet sur la position israélienne.

Le Rubicon onusien étant franchi, quelles sont les perspectives immédiates et à terme de cette demande d’adhésion ? Dans l’immédiat la saisine du Conseil de Sécurité représente un triple succès. C’est d’abord un succès médiatique dans la mesure où de nouveau on reparle de la question de la Palestine, occultée depuis de nombreux mois par les événements du printemps arabe qui ne semblait pas la concerner. C’est un succès politique qui permet au président Abbas, dont la crédibilité était entamée et dont le mandat était officiellement terminé, de retrouver popularité et légitimité. Enfin sur le plan diplomatique, cette initiative permet de montrer qu’une très large partie de la communauté internationale lui apporte son soutien et met dans une situation embarrassante Israël comme les Etats-Unis.

De fait, il est exclu que le Conseil de Sécurité puisse se prononcer favorablement sur l’adhésion de ce 194 ème membre que serait la Palestine. Le veto américain a été d’emblée annoncé et confirmé et les Etats-Unis s’emploient à empêcher que les neuf voix nécessaires pour faire une majorité au Conseil puissent être réunies. Il n’est pas sûr qu’ils y parviennent. Dans ce cas ils seraient contraints de mettre leur veto, se mettant ainsi dans une position embarrassante à l’égard du monde arabe dont ils disent partager l’aspiration à la liberté. Une décision rapide pourrait conduire à un affrontement que personne ne souhaite. Les consultations entamées dès le 26 septembre pourraient ainsi se prolonger. En toute hypothèse, les Palestiniens, comme ils l’ont déjà annoncé, sont décidés à saisir l’Assemblée générale si la procédure au Conseil de Sécurité ne devait pas déboucher.

Une implication probable de l’Assemblée générale

Celle-ci peut en effet se prononcer à tout moment sur la participation de la Palestine à ses travaux comme Etat non membre. La majorité des 2/3 étant acquise, ce nouveau statut offre plusieurs avantages à l’Autorité palestinienne. Il donne le statut d’Etat ; il permet de devenir membre de la plupart des organisations internationales à vocation universelle, notamment celles appartenant au système des Nations unies ; il lui permet le cas échéant de saisir la Cour Pénale Internationale. Cette solution rencontre évidemment l’hostilité d’Israël et des Etats-Unis, mais elle est difficilement parable. Dans un souci de calmer le jeu, le texte de la résolution qui accompagnerait ce vote pourrait appeler les parties à la reprise des négociations seules capables d’aboutir à la création d’un Etat viable.

Une telle décision ne manquera pas de susciter des réactions israéliennes et américaines. Avant la saisine du Conseil de Sécurité, des menaces précises ont été proférées à la fois à travers des déclarations officielles et une campagne de presse orchestrée au Etats-Unis mais également en Europe. Du côté israélien étaient évoquées entre autres la dénonciation des accords d’Oslo, la réoccupation de la zone A de la Cisjordanie, l’accélération de la colonisation, la suspension des recettes douanières prélevées pour le compte de l’Autorité palestinienne par Israël etc…Du côté américain, l’idée de la suspension de l’aide a été lancée au Congrès. Ce serait bien évidemment la politique du pire. De nombreuses voix en Israël comme aux Etats-Unis plaident pour éviter une sur réaction qui pourrait être contreproductive. Par ailleurs le contexte régional du Moyen-Orient – la montée d’un mouvement de remise en cause en Egypte du traité de paix, la dégradation des relations avec la Turquie – ne peut qu’inciter les responsables israéliens à la prudence. Le premier ministre semble l’avoir compris : dans sa récente intervention à l’ONU, M. Netanyahou, très agressif à l’égard de l’Organisation et critique vis à vis des Palestiniens, a évité toute allusion à de quelconques représailles, appelant à la reprise des négociations sans condition et immédiates. Par delà une rhétorique de circonstance, la raison devrait l’emporter et les mesures qui pourraient être prises limitées dans leur portée. Cependant en Israël et plus encore aux Etats-Unis, des considérations de politique intérieure peuvent jouer un rôle négatif.

Un bilan en demi-teinte

Quel bilan provisoire peut-on tirer de ce processus en cours ? Certes cette reconnaissance probable comme Etat par l’Assemblée générale, même si celui-ci ne sera pas dans l’immédiat membre à parte entière de l’ONU, n’est pas totalement satisfaisante pour les Palestiniens. Elle n’en constituera pas moins une première étape politiquement importante pour eux ; elle sera considérée à juste titre comme un échec diplomatique pour les Etats-Unis et Israël.

Sur le terrain, la situation ne va pas changer de façon significative. Le bouclage de Gaza est maintenu. La colonisation continue, comme en témoigne la récente décision de construire une tranche de 1.100 logements dans la colonie de Gilo à Jérusalem Est. Les contrôles ou les opérations « coups de poing » de l’armée israélienne vont se poursuivre. Des risques de mesures de rétorsion existent, même si elles n’auront sans doute qu’une portée limitée. Ainsi les problèmes demeurent et l’ampleur des désaccords de fond ne va pas être réduite par miracle. Cependant la reconnaissance de la Palestine comme Etat, même s’il ne sera pas membre, change la donne diplomatique. Elle met l’Autorité palestinienne en meilleure position de négociation. Un cliquet est en place qui ne permettra pas de retour en arrière. Comme le souligne à juste titre le Haaretz dans un article récent : « les Palestiniens de Cisjordanie ne vivront pas sans droits civils pendant encore des décennies. Le monde ne le tolérera pas ».

Il est clair que la nouvelle situation ainsi créée, qui s’ajoute à l’impact du printemps arabe, condamne Israël à sortir d’une politique de déni et à bouger. Des voix de plus en plus insistantes se font entendre en Israël, notamment du côté du parti travailliste et de Kadima, à un moment où, par ailleurs, les problèmes de politique intérieure deviennent de plus en plus aigus. Entre les « Indignés » et les provocations des colons extrémistes qui pratiquent la politique dite du « prix à payer », le gouvernement israélien a des défis majeurs à affronter. Comme le soulignait encore récemment le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, le statu quo n’est pas tenable. Il serait temps qu’Israël en prenne conscience.