Vers un Brexit « doux » ?

Theresa May a tranché. On lui reprochait de ne pas savoir choisir entre un Brexit « dur », qui couperait la plupart des liens du Royaume-Uni avec le reste de l’Europe, et un Brexit « doux », qui maintiendrait entre eux une coopération étroite. On l’accusait de tergiverser pour ne fâcher personne au sein de son gouvernement, au prix de contorsions inconfortables et d’ambiguïtés insurmontables. Pour les uns, elle était prête, par faiblesse, sinon par conviction, à accepter les conditions des négociateurs européens, au risque de trahir les résultats du référendum par lequel les Britanniques lui avaient donné mandat d’acter la rupture entre Londres et Bruxelles. Pour les autres, elle s’obstinait à défendre l’idée d’une séparation radicale entre le Royaume-Uni et ses partenaires européens, malgré les dangers que son intransigeance faisait peser sur l’avenir du pays.

Il n’était plus possible, à neuf mois du divorce officiel, de tenir la balance égale entre les deux ailes de son parti, le Parti conservateur, dont les déchirements entraînaient un blocage de la négociation. Theresa May s’est donc résolue à sortir de la confusion qu’elle entretenait savamment à coup de déclarations vagues et d’engagements flous. Elle a renoncé au Brexit « dur » qu’exigeaient une partie des membres de sa formation pour se rallier à la perspective d’un Brexit « doux » qui a les faveurs de Bruxelles. Elle a obtenu de son gouvernement, réuni le 6 juillet dans sa résidence officielle de Chequers, qu’il accepte quelques-uns des principes honnis par les plus ardents Brexiters : l’adoption de règles communes pour les biens industriels et les produits agricoles, le respect de l’autorité de la Cour de justice européenne, une forme d’union douanière, un « schéma de mobilité » pour les Européens.

Bien qu’elle se défende d’avoir changé de cap en affirmant que ses « lignes rouges » n’ont pas été franchies, la première ministre britannique a fait un pas peut-être décisif vers les négociateurs européens. Elle a souhaité mettre fin à la cacophonie gouvernementale qui menaçait de ruiner sa crédibilité politique. Elle a ouvert une perspective qui pourrait aider à sortir de l’impasse des discussions largement enlisées. Elle savait qu’elle prenait un risque en affrontant ceux de ses ministres les plus hostiles à toute concession, à commencer par son ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, et son ministre chargé du Brexit, David Davis, qui ont l’un et l’autre préféré quitter le gouvernement plutôt que de cautionner la nouvelle position de l’exécutif.

Theresa May avait appelé à la « responsabilité collective » du cabinet. Les contestataires n’avaient donc pas d’autre option que de se taire ou de se démettre. Boris Johnson comme David Davis, les deux figures de proue du Brexit, ont compris le message. Une fois libérés de leurs fonctions, ils n’ont pas ménagé leurs critiques, l’un avec sa modération de diplomate, l’autre avec sa faconde de rhéteur. David Davis a jugé « dangereuse » la nouvelle stratégie de la première ministre qui, a-t-il dit, aboutira à lier trop étroitement Londres à Bruxelles. Boris Johnson a affirmé que le Royaume-Uni allait se diriger vers un statut de « colonie ». Le quotidien conservateur The Daily Telegraph résume assez bien l’opinion des deux démissionnaires en écrivant : « Il est clair désormais que nous sommes bien partis pour devenir un « membre associé » de l’UE, sur la base d’un accord plus souple, renégocié, mais sans véritable rupture ».

La question est de savoir désormais si le tumulte créé par cette double démission n’aura pas pour effet de déstabiliser le gouvernement en rassemblant contre la première ministre, comme le souligne la responsable du service politique de BBC News, Laura Kuenssberg, tous ceux qui estiment que « le type de Brexit de Theresa May ne correspond pas à ce pour quoi une courte mais claire majorité a voté ». Ces opposants pourraient tenter de faire adopter contre elle une motion de défiance qui la contraindrait à démissionner. On n’en est pas là. Une partie de la réponse dépend des négociateurs européens. Pour le moment, les nouvelles propositions de Theresa May semblent difficilement acceptables par Bruxelles. Mais Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE, s’est dit prêt à « adapter son offre ». L’initiative de Londres peut au moins permettre de relancer les pourparlers.