Vers un gouvernement économique européen ?

L’Allemagne parle enfin d’un « véritable gouvernement économique européen ». C’est la première fois qu’un chancelier allemand reprend à son compte une expression chère aux Français depuis le traité de Maastricht et les débuts de la monnaie unique. 

Le Conseil européen extraordinaire convoqué le jeudi 11 février à Bruxelles par le nouveau président « stable », Herman Van Rompuy, devait être consacré à la remise au goût du jour de l’agenda de Lisbonne de 2002 et aux moyens d’atteindre ses objectifs. La spéculation contre les finances de la Grèce l’a transformé en réunion de crise. Et la manière dont le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept a été préparé et mené devrait imprimer une marque forte sur les institutions européennes, leur fonctionnement et les rapports entre elles.

Le Conseil a d’abord apporté une confirmation : le choix d’Herman Van Rompuy pour présider pendant deux ans et demi le Conseil européen n’est pas innocent. Les « grands » pays, et en particulier la France et l’Allemagne, se sont ainsi assurées de garder la haute main sur les décisions importantes du Conseil. Le communiqué final que le président a péniblement lu à l’issue des travaux est un compromis entre les thèses française et allemande, concocté avant la séance entre l’Elysée et la chancellerie. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy n’ont même pas essayé de donner le change. Ils se sont réunis avec le premier ministre grec Georges Papandréou pour mettre la dernière touche au projet de texte, en dehors de la présence de Jean-Claude Juncker, le premier ministre luxembourgeois qui préside l’Eurogroupe et de celle de la présidence tournante espagnole.

On pourrait en dire certainement autant pour le choix de Catherine Ashton comme Haut représentant pour la politique étrangère. Les grands pays européens ne courent guère le risque de voir leurs ministres des affaires étrangères éclipsés par la baronne britannique. Contrairement aux craintes des conservateurs d’outre-Manche qui voient déjà le service européen d’action extérieure supplanter la diplomatie de Sa Majesté.

Le deuxième enseignement de la réunion de Bruxelles est l’effacement relatif de la présidence tournante. Le traité de Lisbonne qui était censé simplifier l’empilement des institutions européennes a créé une présidence stable du Conseil sans supprimer les présidences tournantes. Tous les six mois, un nouvel Etat assume la présidence des conseils des ministres spécialisés, y compris le conseil dit affaires générales, à l’exception du conseil des ministres des affaires étrangères qui sera présidé par le Haut représentant, qui, rappelons-le, a une double casquette : Catherine Ashton dépend à la fois de la Commission dont elle vice-présidente, et du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement.

L’Espagne qui a la présidence tournante pendant le premier semestre 2010 avait manifesté la volonté de ne rien céder de ses prérogatives. Les sommets avec les pays tiers seront organisés chez elle, la réunion avec l’Amérique latine à Madrid, le deuxième sommet de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone. Le sommet UE-Etats-Unis a été annulé à la suite de la défection de Barack Obama. Si Herman Van Rompuy, qui, selon les traités, est supposé représenter l’Union à l’extérieur, a été mis devant le fait accompli, c’est aussi parce que les présidences et leurs agendas sont préparés plusieurs mois à l’avance. Quand les Espagnols ont commencé à travailler sur leur présidence, il n’était pas du tout certain que le traité de Lisbonne serait ratifié avant la fin 2009 et que les nouvelles institutions seraient entrées en fonction. Les petites frictions, liées aux susceptibilités de chacun, s’expliquent par la nouveauté de la situation.

Mais dans cette période de transition, la présidence espagnole était susceptible de créer quelques précédents dont auraient pu se réclamer les présidences tournantes suivantes, peut-être au détriment des deux nouveaux postes créés par le traité de Lisbonne, le président « stable » du Conseil et le Haut représentant pour la politique étrangère. La gestion de la crise grecque n’a pas permis aux Espagnols d’affirmer haut et fort le rôle de la présidence tournante.

Troisième enseignement, sans doute le plus important : les attaques menées sur les marchés contre un pays membre de la zone euro ont souligné la nécessité d’une meilleure coordination entre les politiques budgétaires et économiques. Ce que la France réclame depuis 1991 et le traité de Maastricht sous le nom de « gouvernement économique européen ». Jusqu’à maintenant, l’Allemagne avait été en pointe pour refuser une telle expression. Elle y voyait une tentative de ces incorrigibles dirigistes français pour saper l’indépendance de la Banque centrale européenne. A Paris, on répliquait qu’il ne s’agissait que de doter l’institut monétaire européen d’un interlocuteur politique. Sans convaincre.

La crise a amené Angela Merkel a changé d’avis. Après le conseil des ministres conjoint franco-allemand, elle a parlé pour la première fois d’un « véritable gouvernement économique européen ». Certes elle ne veut pas le limiter à la zone euro, comme elle avait déjà refusé, à l’automne 2008, une réunion régulière des chefs d’Etat et de gouvernement de l’eurogroupe que réclamait Nicolas Sarkozy. Il n’est pas sûr que Français et Allemands, s’ils emploient le même vocabulaire, donnent le même sens aux mêmes mots. Ce ne serait pas une première dans l’histoire de la construction européenne.

Pour les Allemands c’est en tous cas un pas nouveau qui peut s’avérer décisif. La création, sous une forme ou sous une autre, d’un gouvernement économique marquerait une étape essentielle dans l’approfondissement de l’intégration européenne. Le Financial Times, qui n’est pas aussi anti-européen que la majorité des Britanniques, ne s’y est pas trompé. Dans son éditorial de samedi, il ne prend pas ouvertement position contre ce progrès de l’intégration mais il le juge si important qu’il ne devrait pas se produire en catimini. Il devrait être soumis à la décision des peuples de l’Europe.