Après une fin de mandat très tendue pour George W. Bush – Vladimir Poutine ayant évoqué en 2007 le spectre d’une nouvelle guerre froide —, le Kremlin avait placé la barre assez haut avec le nouveau président américain. Au lendemain même de son élection en novembre dernier, le président russe Dmitri Medvedev avait annoncé le déploiement de fusées à courte portée Iskander dans le territoire de Kaliningrad, à la frontière de la Pologne, et à moins de 600 km de Berlin. Moscou entendait ainsi riposter au programme de défense antimissile décidé par Washington. Ce programme comprend l’installation d’un radar en République tchèque et d’intercepteurs en Pologne. Bien que les Américains aient affirmé que ce système antimissile visait à parer une éventuelle attaque venue de l’Iran, les Russes considéraient qu’il était en fait dirigé contre eux. Mais un responsable militaire russe, cité par l’agence officielle Ria-Novosti, est revenu sur ces déclarations, mardi 27 janvier. Les fusées Iskander ne seront pas déployées, dit-il, si les Etats-Unis renoncent à l’installation de leur système antimissile en République tchèque et en Pologne.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce changement d’attitude de Moscou. D’abord, les fusées Iskander ne sont pas prêtes à être déployées. Leur mise au point n’en est qu’au stade expérimental. Il n’est pas sûr que la Russie ait actuellement les moyens d’aller plus loin, et c’est la deuxième raison de l’évolution des positions russes : la crise économique frappe durement le pays avec une dévaluation permanente du rouble, une baisse de la production, un déficit budgétaire qui devrait atteindre 5 à 10% du PIB après des années d’excédents. Elle n’est pas près de s’arrêter si le prix du pétrole, qui est avec le gaz la principale ressource de l’économie russe, reste aux alentours de 40 $ le baril. La troisième raison est que, compte-tenu de ces nouvelles conditions générales, la Russie n’a pas intérêt à envenimer ses relations avec les Occidentaux, notamment avec les Américains. La guerre contre la Géorgie a été perçue à Moscou comme une affirmation de puissance retrouvée mais les observateurs russes ne peuvent exclure qu’il s’agisse d’une victoire à la Pyrrhus. La Russie s’est en effet retrouvée totalement isolée dans sa reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud. Même ses alliés les plus proches ne l’ont pas suivie de peur d’ouvrir la boîte de Pandore d’autres séparatismes.
Deux tendances à Moscou
Sans qu’il soit vraiment possible de compter les forces des deux « camps », deux orientations semblent s’affronter dans les sphères dirigeantes du Kremlin. D’un côté la tendance « nationaliste » prône une politique de fermeté vis-à-vis de l’Occident, malgré la crise économique voire à cause d’elle. L’exaltation de la puissance russe étant le meilleur moyen de détourner la population des soucis quotidiens et de la souder autour des dirigeants. D’une autre côté la tendance qu’on a quelque peine à appeler « libérale » considère que la Russie ne peut sortir de la crise et moderniser son économie en mettant fin à la dépendance exclusive vis-à-vis de l’exportation des matières premières énergétiques qu’en attirant les capitaux étrangers et donc en améliorant ses relations avec l’Occident.
La défense antimissile n’est pas la seule pierre d’achoppement entre Moscou et Washington. Il faut y ajouter l’indépendance du Kosovo, l’expansion de l’OTAN vers l’Est, la question des droits de l’homme. Dmitri Trenin, un politologue russe travaillant pour la Fondation Carnegie à Moscou, invite depuis quelques mois la nouvelle administration américaine à faire les gestes que le camp favorable à la coopération attend : renonciation à l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, intégration de l’Ukraine à l’Ouest par le biais de l’Union européenne et non de l’OTAN, reconnaissance du statut de partenaire à part entière de la Russie au Moyen-Orient et en Afghanistan, non-ingérence dans la politique intérieure russe, et ouverture d’un dialogue sur la proposition du président Medvedev de créer une nouvelle architecture de sécurité en Europe qui devrait déboucher, selon le président russe, sur une alliance euro-atlantique incluant la Russie.
Dmitri Trenin se garde bien de suggérer les concessions que les Russes pourraient faire de leur côté pour renouer une coopération fructueuse avec les Américains. Sa liste des gestes américains reflète fidèlement les demandes du Kremlin et ne saurait être acceptée en l’état par Barack Obama. Il n’en reste pas moins que le nouveau président américain est en train de redéfinir les priorités de la politique étrangère des Etats-Unis. Si l’Afghanistan et l’Iran (et accessoirement le conflit israélo-palestinien, sur lequel Moscou n’a qu’une influence limitée), sont en première place sur sa liste, à laquelle il faut sans doute ajouter la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, il doit en effet reprendre le dialogue avec les Russes. Pour cela, il doit soupeser les points sur lesquels il lui est possible d’accepter des compromis. La défense antimissile et l’extension de l’OTAN semblent être de ceux-là.