Vers une défense commune ?

L’accord de défense franco-britannique vise d’abord à renforcer les relations bilatérales entre deux Etats souverains. Mais il pourrait, à long terme, favoriser la création d’une Europe de la défense.  

La perspective d’une collaboration franco-britannique dans le domaine de la dissuasion nucléaire lève un tabou solidement installé en Europe depuis que Paris et Londres se sont dotés de l’arme atomique : celui de l’impossible coopération entre les deux pays sur un sujet que la France a toujours considéré comme relevant de sa seule souveraineté et que la Grande-Bretagne n’a consenti à partager qu’avec les Etats-Unis. Certes, selon l’accord conclu le 2 novembre dans la capitale britannique, il ne s’agit pas de mettre en commun les arsenaux nucléaires des deux nations, mais le rapprochement symbolisé par le création d’un laboratoire commun de simulation ouvre une page nouvelle dans les relations franco-britanniques en matière de défense.

Le souvenir de l’expédition de Suez

Si on remonte le cours de l’histoire récente, on peut sans doute considérer l’expédition conjointe de Suez, en 1956, comme un événement-clé. L’échec de cette opération militaire a eu au moins deux conséquences : la France, échaudée, a choisi de se donner une force de frappe autonome, placée sous son autorité exclusive, et la Grande-Bretagne, humiliée, a décidé de collaborer dans ce domaine avec les Etats-Unis au nom de la « relation spéciale » entre les deux pays. Notons que, pour la plupart des historiens, le fiasco de Suez a également accéléré la naissance de la Communauté économique européenne, l’année suivante.

Au cours du demi-siècle qui a suivi, la coopération militaire entre la France et la Grande-Bretagne a été pratiquement inexistante. Il a fallu l’accord de Saint-Malo, en 1998, entre Tony Blair et Jacques Chirac pour que l’idée en soit relancée et que naisse, dans le cadre de l’UE, l’esquisse d’une politique européenne de défense , mais les désaccords entre les deux capitales, notamment sur la guerre en Irak, n’ont pas permis de progrès décisifs.

Des responsabilités particulières

L’accord de Londres devrait remettre en mouvement la coopération entre les deux pays. L’un et l’autre ont compris que, devenus des puissances moyennes à l’échelle du globe, ils ont besoin d’unir leurs efforts pour jouer un rôle sur la scène internationale. Tous les deux dépensent pour leur défense nettement plus que leurs voisins européens. Ils ont également en commun la possession de l’arme nucléaire et un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, qui leur donnent des responsabilités particulières. Les contraintes budgétaires les obligent aujourd’hui à mettre en commun une partie de leurs ressources plutôt que de continuer à faire cavalier seul.

La situation internationale les incite aussi à se rapprocher, au moment où l’Europe cesse d’apparaître comme une priorité pour les Etats-Unis. Paris et Londres ont redéfini leurs relations avec Washington : la Grande-Bretagne reste fidèle à son lien privilégié avec son partenaire américain, mais elle ne se fait pas d’illusions sur son influence réelle outre-Atlantique ; quant à la France, elle a donné des gages en reprenant sa place au sein de l’OTAN.

Les deux pays pourront ainsi travailler ensemble, sous l’oeil bienveillant de Washington, non seulement dans le domaine nucléaire, mais aussi dans celui des armes classiques : de la création d’une force d’intervention conjointe au « partage » des porte-avions, la collaboration touchera une quarantaine de secteurs.

Ni Van Rompuy ni Barroso

Cette politique commune ouvrira-t-elle la voie à une Europe de la défense ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr. La philosophie de l’accord de Londres est différente de celle de celui de Saint-Malo, en 1998, qui s’inscrivait explicitement dans une perspective européenne. Le premier ministre britannique, David Cameron, ne croit pas à l’Europe de la défense. Il n’entend pas aller au-delà du renforcement des relations bilatérales, qui suffit déjà à inquiéter une partie de son opinion publique. De son côté, Nicolas Sarkozy a assuré, sur le ton du persiflage, que le commandement de l’armée française ne serait confié ni à Herman Van Rompuy ni à José-Maria Barroso.

En même temps, ces traités bilatéraux peuvent apparaître comme une manière détournée d’avancer vers une défense européenne, hors des traités, loin des formules de « coopération structurée » que prévoient ceux-ci. La France a d’autres partenaires en Europe que la Grande-Bretagne. Elle est aussi liée par des accords de défense avec l’Allemagne. D’autres pays européens – l’Espagne, l’Italie, la Belgique – sont associés à une partie d’entre eux. Un réseau se tisse, qui pose les bases d’une coopération européenne, dans le respect scrupuleux des souverainetés nationales. Mais il faudra d’autres pas, et beaucoup de temps, pour aller vers une défense commune.