Deux ans après la fin de la dictature militaire qui avait maintenu la Birmanie sous une chape de plomb pendant plusieurs décennies, des violences religieuses secouent le pays et menacent le processus de transition démocratique conduit par le président de la République, le général Thein Sein. Les attaques antimusulmanes menées dans plusieurs villes par des extrémistes bouddhistes ne se sont pas seulement traduites par des incendies de mosquées et des déplacements de populations, elles ont aussi causé la mort de plus de quarante personnes, victimes de haines ancestrales.
L’incendie d’une école musulmane à Rangoun, l’ancienne capitale du pays, mardi 2 avril, faisant treize morts, en majorité des enfants, a encore alourdi le climat. La police affirme que le feu serait d’origine accidentelle, mais ce nouveau drame ne peut que raviver les appréhensions de la communauté musulmane. L’année dernière déjà, des massacres avaient eu lieu dans l’Etat d’Arakan, sur la côte occidentale : 180 000 musulmans de la minorité rohingya avaient été tués. Dans un pays qui rassemble 135 ethnies plus ou moins en révolte contre l’autorité centrale, la reprise d’agressions meurtrières contre des minorités musulmanes, qui ne représentent que 4% de la population birmane, témoigne de la fragilité de l’Etat de droit qui a succédé au régime militaire.
« Je n’hésiterai pas à faire usage de la force en dernier recours pour protéger les vies et les biens », a déclaré le président Thein Sein. « Notre Constitution, a-t-il rappelé, garantit le droit de tous les citoyens de pratiquer leur foi librement et de choisir leur religion ». Le chef de l’Etat a appelé ses compatriotes à éviter « l’extrémisme religieux », en estimant qu’il pourrait remettre en cause « les réformes démocratiques et le développement du pays ». Le risque serait en effet que l’armée, face à ces troubles répétés, soit tentée de reprendre le contrôle qu’elle exerçait naguère sur la société birmane. En levant le couvercle qui empêchait les passions identitaires de s’exprimer, elle a permis que celles-ci se manifestent au grand jour. Certains n’hésitent pas à accuser les adversaires du gouvernement d’encourager discrètement ces mouvements pour imposer un retour en arrière.
La situation en Birmanie attire d’autant plus l’attention qu’elle met en jeu l’avenir de la populaire Aung San Suu Kyi, l’ancienne recluse devenue le symbole de la démocratisation. Prix Nobel de la paix en 1991, présidente de la Ligue nationale pour la démocratie, Aung San Suu Kyi pourrait être candidate à l’élection présidentielle de 2015 si la Constitution, qui interdit l’accès à la magistrature suprême d’une personne mariée à un étranger, était modifiée. Elle a été en effet l’épouse d’un Britannique, Michael Aris, mort d’un cancer en 1999. Toutefois elle est aujourd‘hui critiquée par une partie de ses amis pour son attitude conciliante à l’égard de l’armée, qu’elle entend ménager pour apaiser les tensions. Sa stratégie, qui vise à dissuader les militaires de revenir aux affaires, n’est pas toujours comprise dans son propre camp. La question ethnique, qui a justifié autrefois le maintien du régime militaire, demeure aujourd’hui le point faible de la jeune démocratie birmane.
Ce texte est une version légèrement remaniée d’un article publié dans l’hebdomadaire Réforme daté 4 avril.