Vive Juan Carlos, roi de la République espagnole

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L’anecdote est racontée par Felipe Gonzalez, l’ancien président socialiste du gouvernement espagnol. Lors d’un voyage officiel de Juan Carlos au Mexique, une banderole barrait la route de l’aéroport. On y lisait : « Vive Juan Carlos, roi de la République espagnole ». Le télescopage entre le roi et la République était significatif. Quand on sait qu’à la fin de la guerre civile en 1939, de nombreux républicains espagnols se sont réfugiés au Mexique et qu’eux-mêmes ou leurs descendants devaient être sur le parcours du cortège officiel, on mesure le chemin parcouru depuis l’affrontement entre les deux Espagne, la franquiste et la républicaine.

Ces deux Espagne se sont retrouvées et Juan Carlos symbolisait ces retrouvailles. Il n’est pas le seul à avoir assuré la réussite de la transition démocratique après la mort du Caudillo en 1975 mais il a contribué à imposer l’idée « ni vainqueurs, ni vaincus » qui a permis à l’Espagne de rejoindre l’Europe dans un temps record. Les fantômes de la guerre civile n’avaient pas pour autant disparu. Ils sont revenus hanter la politique espagnole quelques décennies plus tard.

Juan Carlos avait 37 ans quand il est monté sur le trône, comme toute une génération d’hommes politiques formés soit en marge du franquisme, comme son ami Adolfo Suarez, soit dans les rangs de l’opposition en exil comme Felipe Gonzalez. Cette génération a été capable de rompre avec le passé et transformer l’Espagne en un des Etats les plus modernes du Vieux continent. Le roi a, non sans quelques hésitations, joué un rôle crucial dans l’échec du putsch du colonel Antonio Tejero en 1981.

Sans doute n’est-ce pas un hasard si le roi a insisté en annonçant qu’il abdiquait sur la nécessité de passer la main à une génération plus jeune incarnée par son fils Felipe. Minée par les scandales, affaiblie par la santé précaire du souverain, assistant impuissante aux divisions politiques et aux tendances sécessionnistes, la monarchie espagnole avait grand besoin de se renouveler si elle veut continuer à représenter la cohésion nationale en ces temps de crise.

Les élections européennes ont montré un affaiblissement des partis qui la soutiennent et une progression des partisans de la République qui sont descendus dans la rue dès l’annonce de l’abdication de Juan Carlos. Les deux camps sont maintenant à peu près à égalité. La gauche qui s’était ralliée à la royauté pour soutenir la pacification peut estimer, quarante après la fin du franquisme, que l’Espagne est mûre pour changer de régime sans que la paix sociale soit mise en danger.

 

Il revient au nouveau roi qui va régner sous le nom de Felipe VI de relever ce défi : montrer que la monarchie est encore une chance pour l’Espagne, en particulier pour assurer son unité malgré les velléités d’indépendance des Catalans ou des Basques. Et qu’en tous cas, elle peut être un rempart contre un retour à un ordre moral politique ou culturel dont rêve une partie de la droite espagnole aujourd’hui au pouvoir à Madrid.