Washington/Moscou : les limites du réchauffement

Les Européens de l’Est ont peur d’être victimes du réchauffement des relations russo-américaines. Washington cherche à calmer ces craintes.

L’inquiétude était vive dans les anciennes républiques soviétiques qui se sont émancipées de la tutelle de Moscou au début des années 1990, après la visite de Barack Obama en Russie. Le vice-président Joe Biden a été chargé de rassurer les Européens de l’Est. Il l’a fait de deux manières. D’abord avec un voyage en Ukraine et en Géorgie. Il a conforté les deux anciennes républiques soviétiques dans leur droit à choisir leurs alliances, c’est-à-dire à devenir membres de l’OTAN, même si c’est, pour les deux, une perspective lointaine. A Tbilissi, il a réaffirmé que les Etats-Unis ne reconnaîtraient jamais l’indépendance de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie, deux régions géorgiennes annexées de facto par la Russie après la guerre d’août 2008. Ensuite, avec un entretien accordé au Wall Street Journal, dans lequel il se montre très critique à l’égard de la Russie, tant de sa situation intérieure que de sa politique étrangère.

Division du travail

Après le ton plutôt aimable employé par le président Obama à Moscou, les dirigeants russes feignent de s’interroger sur l’existence de deux « lignes » dans l’administration américaine.

En réalité, ils comprennent très bien qu’il y a une division du travail entre le chef de la Maison blanche et le vice-président. Après les années Bush, qui ont été marquées par une dégradation graduelle des relations entre les deux pays, Barack Obama doit à la fois relancer la coopération avec Moscou (reset) sans s’aliéner les anciens pays de l’Est qui étaient devenus les meilleurs alliés des Etats-Unis en Europe. Ceux que l’ancien secrétaire à la défense de George W. Bush, Donald Rumsfeld, appelait « la nouvelle Europe ».

Or un groupe d’anciens dirigeants est-européens, dont la plupart ont participé aux « révolutions de velours » de 1989-1990 et qui ont eu des responsabilités dans les années suivantes, ont adressé une lettre ouverte au président américain, dans laquelle ils le mettent en garde contre une forme de désintérêt pour l’Europe de l’Est. L’orientation transatlantique, la stabilité et la prospérité de ces pays ne sont pas garantis pour toujours, disent-ils. Au contraire, la crise économique annonce une montée du péril populiste.

D’autre part, l’attitude passive de l’OTAN au moment de la guerre russo-géorgienne de l’année dernière — quelle que soit la responsabilité directe du président géorgien Mikheïl Saakachvili dans le déclenchement des hostilités, les amènent à mettre en doute la solidarité atlantique en cas de menace grave sur leur sécurité.

Alliés incommodes

Ces anciens dirigeants, parmi lesquels Lech Walesa et Vaclav Havel, ne sont pas hostiles à la coopération avec la Russie. Mais, écrivent-ils, « notre expérience est qu’une politique à l’égard de Moscou, plus déterminée et plus ferme sur les principes, non seulement augmente la sécurité de l’Occident mais, en dernière analyse, amène Moscou à adopter une attitude plus coopérative ». Et ils érigent le programme de défense antimissiles que l’administration Bush devait développer en Pologne et République tchèque en « symbole de la crédibilité et de l’engagement des Etats-Unis dans la région ».

Dans son entretien au Wall Street Journal, Joe Biden explique qu’il ne s’attend pas que « les Russes, en particulier ce gouvernement, en particulier Poutine, acceptent de renoncer à la notion de "sphères d’influence". Mais j’attends qu’ils comprennent que nous n’acceptons pas cette vision des choses ». Quant à la situation intérieure de la Russie, elle n’est pas brillante, si l’on en croit le vice-président américain : les Russes « ont une population déclinante, ils ont une économie chancelante, ils ont un secteur bancaire et une structure qui ne sont probablement pas capables de traverser les quinze prochaines années, ils sont dans une situation où le monde est en train de changer autour d’eux et où ils s’accrochent à quelque chose du passé qui n’est pas tenable ».

En même temps, Joe Biden ne cherche pas à enjoliver la situation en Géorgie, les difficultés de l’opposition et les « impulsions autoritaires » du président Saakachvili, laissant ainsi entendre que, contrairement à l’administration précédente, les Démocrates ne sont pas disposés à donner un chèque en blanc à leurs incommodes alliés.