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A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Franz Liszt, Boulevard-Exterieur s’est associé avec musigratis pour proposer à ses lecteurs l’accès au site www.bicentenaireliszt.com

D’une révolution à l’autre

Au moment où tombent les dictatures de l’autre côté de la Méditerranée, le centenaire de la naissance de Franz Liszt rappelle à nos mémoires le « printemps des peuples » de 1848 en Europe

La révolte des peuples arabes contre leurs dictateurs est quelquefois qualifiée de « printemps arabe » par référence au « printemps des peuples » qui a secoué l’Europe au milieu du XIXème siècle et en partie inspiré, un siècle et de demi plus tard, l’émancipation des pays placés sous la tutelle de l’Union soviétique. On peut juger abusive la comparaison entre les insurrections de Tunisie, d’Egypte ou de Libye en ce début du XXème siècle et les révolutions de 1848 à Paris, Berlin, Vienne ou Budapest : autres lieux, autres temps, autres saisons.

Pourtant, par delà les différences historiques, les événements d’aujourd’hui font écho, dans nos mémoires, à ceux d’hier. Ils révèlent les mêmes aspirations des peuples à la démocratie, à la dignité, à la liberté face aux tyrannies qui les oppriment ; et ils reproduisent en partie l’effet de domino qui tend à propager d’un pays à l’autre l’esprit révolutionnaire.

2011, année du soulèvement des peuples arabes, est aussi celle du bicentenaire de Franz Liszt, qui fut l’un des ardents partisans du printemps des peuples européens en 1848. Le musicien hongrois était connu pour ses engagements sociaux, sinon socialistes, nés de sa proximité avec la pensée saint-simonienne puis de son amitié avec Lamennais, sans parler de son adhésion à la franc-maçonnerie. En 1830, il compose une Symphonie révolutionnaire, dont il est resté quelques fragments, pour célébrer le renversement de Charles X.

Sous la Monarchie de Juillet, alors même que ses talents de pianiste lui valent une gloire immense à travers toute l’Europe, il continue d’afficher ses sympathies pour le peuple. En 1843, il écrit Lyon, dédié à Lamennais et inspiré par la répression des canuts. En 1845, il donne Le Forgeron, sur un texte de Lamennais. En 1848, devenu maître de chapelle à Weimar, il vibre avec les révolutionnaires. « Le cœur me monte à la tête parfois quand le courrier nous apporte les journaux », écrit-il à Marie d’Agoult. Admirateur de Lamartine, il se réjouit du rôle joué par le poète dans les événements parisiens.

A Vienne, il se rend sur les barricades où il offre aux manifestants des cigares et de l’argent, arborant à sa boutonnière les couleurs de la Hongrie. Il salue avec émotion l’action du peuple hongrois. « Pour moi qui ai toujours détesté la politique, j’avoue que je ne sais plus comment m’en défendre, écrit-il à la princesse Wittgenstein. Mes compatriotes viennent de faire une démarche si décisive, si hongroise et si unanime qu’il est impossible de leur refuser un tribut de légitime sympathie ».

Après la défaite des insurgés, il composera Funérailles, en hommage aux morts de la révolution hongroise, puis l’Héroïde funèbre. Certains lui ont reproché de n’avoir pas participé plus activement au mouvement. « Mais comment, mon cher Liszt, n’avez-vous pas pris part à la lutte ? lui écrit la princesse Belgiojoso. La Hongrie n’est-elle pas votre patrie de fait et de choix ? Ne vous êtes-vous pas déclaré Hongrois ? Je sais que vous ne prenez pas la politique fort à cœur et pourtant qu’y a-t-il ici qui mérite qu’on s’y arrête si ce n’est l’établissement des droits de tous, peuples et individus ? ».

Dans son poème Octobre 1849 Heine raille l’inaction du musicien. « Le dernier bastion de liberté est tombé. La Hongrie est saignée à blanc...Mais le chevalier Franz est intact, Comme son sabre, resté dans la commode ».

Sans prendre les armes, Liszt aurait pu, disent ses accusateurs, donner au moins une série de concerts en Europe, comme il l’avait fait dix ans plus tôt en hommage aux victimes des inondations en Hongrie. Mais depuis 1847 le pianiste virtuose avait cessé de se produire en concert.

Liszt considérait que sa contribution à la révolution passait par la création musicale, et non par l’action politique. Au grand-duc Charles-Alexandre, il dira en 1849 : « L’art n’a que faire à se mêler aujourd’hui aux cris rauques des barricades ; sa région est plus haute, plus pure et son action à la fois plus bienfaisante et plus durable ». Favorable à l’émancipation des peuples, le musicien s’inquiétait aussi des dérives possibles de la révolution. Il se sentait plus proche d’hommes politiques modérés comme Lajos Batthyany, qui fut fusillé par les Autrichiens en 1849, ou comme Istvan Széchenyi, que du jusqu’au-boutiste Lajos Kossuth. 

Thomas Ferenczi 

[Les informations sur la vie de Liszt sont tirées des biographies de Serge Gut (de Fallois/l’Age d’homme, 1989), Emile Haraszti (Picard, 1967), Rémy Stricker (Gallimard, 1993) et Alan Walker (Alfred Knopf, 1989, Fayard, 1990)]