Bras de fer Nord-Sud à Carthagène

Le dernier sommet des Amériques, à Carthagène (Colombie), a été le théâtre d’un bras de fer entre les Etats-Unis et les groupe des « bolivariens » (les Etats latino-américains dirigés par des gouvernements de gauche), avec l’hôte colombien en médiateur. L’analyse de Miguel-Angel Bastenier, du journal espagnol El Pais.

Les sommets internationaux sont devenus des instruments de la diplomatie à l’heure où progresse le multilatéralisme. On n’attend pas d’eux nécessairement qu’ils soient le cadre où la signature de grands accords soit fêtée. Mais ils offrent au moins un point de rencontre pour des chefs d’Etat ou bien ils peuvent servir de caisse de résonance à des prises de position auxquelles on voudrait voir accorder le degré de solennité escompté. Les sommets ne sont plus ce qu’ils étaient il y a plus d’un demi siècle, mais le monde non plus.

Le Sommet des Amériques (Cumbre de las Américas) qui a eu lieu récemment à Cartagena de Indias a pleinement rempli ces fonctions. Personne ne pouvait nourrir le moindre espoir de voir Washington se plier à l’exigence de l’ensemble de l’Amérique latine d’admettre la présence de Cuba au prochain sommet ; encore moins qu’il accepte la dépénalisation de la drogue ; et si quelqu’un a osé imaginer par hasard que les Etats-Unis pouvaient soutenir l’Argentine contre la Grande Bretagne dans sa revendication sur les Malouines, c’est parce qu’il ne sait pas lire l’anglais.
Le fait d’étaler ces profonds désaccords au grand jour n’a toutefois pas fait de ce sommet un échec. Bien au contraire, il a permis de sauver les meubles. Si le rendez-vous ne fait pas partie de ceux qui marquent « un avant et un après », il a souligné que si « l’avant » continue à être le même, « l’après » — le prochain sommet à Panama en 2015 – devrait être différent. Le bloc bolivarien continuera-t-il à exister ? Mettra-t-il à exécution sa menace de ne pas y assister si Cuba continue à en être exclue ? Y aura-t-il, tout simplement, un sommet ?

Priorité à l’économie ?

A Carthagène (Cartagena de Indias), joyau de la Colombie caribéenne, s’est engagé un bras de fer autour du contenu de l’ordre du jour des sommets. Cette épreuve de force a opposé les Etats-Unis à la grande majorité de l’Amérique latine. Le président Barack Obama souhaitait le centrer sur les terrains économiques, avec le cheminement de tous vers la prospérité comme mot d’ordre, technologique, avec la diffusion d’internet, ou social, avec le combat contre l’insécurité citoyenne dans la région la plus dangereuse de la planète. Autant de sujets respectables, urgents et de grande importance, répondant aux raisons qui ont amené le président Clinton en 1994 à lancer le Sommet des Amériques, mais aux résultats lointains. L’ensemble de l’Amérique latine et non seulement les diverses gauches, depuis le Brésil et l’Argentine jusqu’aux bolivariens, mais également les droites de récente composition, telles que la Colombie et le Guatemala, poussaient pour une extrême politisation du sommet : Cuba, drogues et Malouines, avec la prétention de voir les Etats-Unis modifier ses positions au sujet de cette Sainte Trinité de contentieux. Le choix se situait entre des sommets « tout en velours » ou des sommets « virils ».

On peut très sérieusement douter que, même réélu pour un deuxième mandat, Barack Obama pourrait accepter de se plier à l’admission du régime castriste. Pas plus qu’à admettre que le marché de la drogue aux Etats-Unis, représentant 45 milliards d’euros par an, est celui qui nourrit le mieux le narco-business et que le trafic d’armes Nord/Sud – Amnistie Internationale estime à 15 millions le nombre d’armes entre les mains d’individus en Amérique latine – constitue son meilleur instrument. De même, les nations latino-américaines qui déclarent que la lutte policière contre le narco-trafic a échoué, doivent reconnaître qu’elles sont les premières responsables de la corruption qui frappe la puissance publique. Les forces de l’ordre n’agissent pas comme une vraie police. Et Washington ne semble pas sur le point de marquer un plus grand intérêt pour Cristina Fernández ou Dilma Rousseff plutôt que pour David Cameron. On a pu le vérifier lors des récentes visites de la présidente brésilienne et du premier ministre britannique à Waqshington, la première se voyant privée de dîner officiel avec le président, honneur qui a été accordé au Premier ministre britannique.

La Colombie, pays charnière

Dans la distribution de prix, la Colombie brilla par une organisation impeccable et son président Juan Manuel Santos trouva l’éloquence pour postuler au rôle de pays charnière entre les différentes sensibilités latino-américaines. Mais le continent manquait gravement de coordination : le boycottage du sommet par le président équatorien Rafael Correa n’y a nullement aidé, le leader vénézuélien Hugo Chávez laissa sa maladie expliquer implicitement son absence, le président du Nicaragua Daniel Ortega déclara également forfait à la dernière minute et Santos, lui-même, oublia les Malouines dans son allocution . Quant au Mexique, il ne montrait de l’intérêt que pour le combat contre le narco-trafic et Dilma Rousseff semblait être présente pour montrer à tous la façon dont le Brésil considérait les Etats-Unis d’égal à égal.

Le mérite, tout relatif, du sommet réside dans la défense des positions, même si celles-ci ne plaisent pas à Washington. Mais il est probable que lors du prochain rendez-vous de Panama on ait la preuve que des Amériques il y en a toujours trop.