L’agence Standard & Poors a maintenu sa dégradation de la dette américaine malgré une faute de calcul de deux mille milliards de dollars. Le problème, affirme-t-elle, c’est le système politique, pas l’économie, qui est bloqué. Il est vrai que le système politique est vicié, surtout par le pouvoir des petits États au Sénat (où les 630 000 âmes de Wyoming ont autant de poids que les 37 millions d’habitants de la Californie). Mais c’est un mal plus profond qui affecte, comme dirait Montesquieu, l’« esprit » du système.
En effet, le parti républicain refuse d’augmenter le plafond de la dette sans contreparties fiscales (et, pour rendre plus dure la pilule, le vote d’un amendement constitutionnel imposant l’équilibre budgétaire). Il est vrai que les républicains n’ont pas osé appeler cette dernière mesure une « règle d’or », comme on dit en France ; mais la passion quasi religieuse avec laquelle ils défendent leur refus de tout compromis est l’une des causes du blocage politique qui perdure. Les six républicains, parmi les douze membres de la commission chargée de trouver un compromis, ont tous juré (par écrit !) de ne pas augmenter les impôts.
La racine du problème se trouve à un niveau plus profond. Les républicains ont gagné une majorité à la Chambre aux élections de 2010. Ils interprètent ce vote comme un « mandat » à réaliser, en maintenant leur refus militant de tout compromis. Ce faisant, ils oublient que Barack Obama, qui n’était pas candidat à cette élection, avait été lui-même « mandaté » par la nation entière en 2008. L’Amérique vit donc avec un choc de deux légitimités qui sera résolu en 2012, lorsque le président et le Congrès seront renouvelés.
En attendant, Obama essaie de rester au-dessus de la mêlée. N’a-t-il pas été élu sur la promesse de mettre fin à la « gabegie politique de Washington » ? Il ne se départ pas de son attitude calme et pondérée, alors qu’autour de lui les purs et durs restent attachés à leurs intérêts partisans. Le Président veut donner l’impression d’être le seul adulte dans la cour de récréation. C’est ainsi qu’il établira, pense-t-il, sa légitimité en 2012. Or, cette attitude ne fait pas l’unanimité chez ses supporteurs, qui ont des intérêts à défendre.
Le choix politique de Barack Obama peut se comprendre comme l’affirmation de ce qu’on appelle une « éthique de la responsabilité ». Celle-ci, selon le grand sociologue Max Weber, s’oppose à une « éthique de la conviction », qui serait justement le point de vue défendu par les durs du parti républicain. Évidemment, cette passion qui se refuse à tout compromis avec les contraintes du réel appartient plutôt à la sphère du religieux qu’à celle du politique. Mais qu’en est-il de l’éthique de la responsabilité qu’on pourrait attribuer au Président ?
Ceux qu’irrite la position en surplomb d’Obama (et qui s’énervent lorsque le grand orateur se livre à des discours qui conviennent plutôt à une salle de classe au lycée) posent en effet la question : responsabilité de qui ? Responsabilité pour quoi ? Il n’y a pas de responsabilité abstraite et neutre ; on est responsable pour un projet et envers des personnes réelles.
La définition de cette responsabilité-là est au fondement du politique ; et l’effort pour sa réalisation est l’obligation de l’homme politique. C’est cet esprit de responsabilité politique que Barack Obama semble avoir oublié. Et c’est cela qui pourrait lui coûter cher en 2012.