Crise tchèque et dégâts pour l’Europe

La surprenante chute du gouvernement tchèque de Mirek Topolanek, le 24 mars, témoigne du climat d’instabilité économique et politique en Europe du Centre-Est. Elle signifie aussi une reprise en mains des événements par le président tchèque Vaclav Klaus, notoirement europhobe.

Si la république tchèque n’exerçait pas en ce moment la présidence de l’Union européenne, on pourrait considérer la crise politique tchèque comme une simple péripétie, la fin d’un gouvernement en sursis depuis le jour de sa constitution en janvier 2007 grâce à deux transfuges du principal parti d’opposition, le parti social-démocrate. Mais force est de constater qu’un gouvernement qui n’a plus de légitimité dans son pays peut difficilement en avoir au plan européen pour promouvoir « l’Europe sans barrières », sa priorité de la présidence de l’UE. Les conséquences européennes de cette crise sont plus graves que les conséquences intérieures.

Le vote de défiance a rassemblé non seulement les partis d’opposition (sociaux-démocrates et communistes), mais aussi deux députés « Verts » qui appartiennent à la coalition gouvernementale et deux députés ODS (le parti gouvernemental) très proches du président de la République. Derrière la chute du gouvernement Topolanek il y a donc d’abord la « main invisible » de Vaclav Klaus. Ce dernier piaffait d’impatience depuis l’automne lorsqu’il qualifia la débâcle de l’ODS aux élections régionales et sénatoriales de « défaite historique » et apporta son soutien à un nouveau groupement, Libertas, menant campagne contre le traité de Lisbone.

La démission de Topolanek ne fut évitée que par égard pour l’imminente présidence européenne grâce à laquelle le premier ministre réussit à opérer une certaine remontée dans les sondages. La trêve européenne fut rompue par Klaus qui, au moins pour un temps, devient le personnage central de la vie politique tchèque. Avec plusieurs options envisagées : un gouvernement de transition (sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates avec un soutien tacite des communistes) ou un gouvernement d’experts soutenu par une grande coalition en attendant des élections anticipés à l’automne. Cela ne serait pas sans rappeler le « gouvernement d’experts » dirigé par Tosovosky (gouverneur de la banque centrale) en 1997 suite à une crise dans l’ODS, au demeurant le gouvernement le plus populaire depuis près de vingt ans.

Au-delà de son aspect intérieur, la crise politique tchèque a des implications et retombées plus larges. D’abord parce que même si elle n’est pas liée à la crise économique et révèle plutôt une structure partisane fragile et peu prévisible, elle s’inscrit dans un climat d’instabilité économique et politique en Europe du Centre-Est. La perception occidentale mettra « dans le même sac » la démission de Topolanek avec celle de son homologue hongrois Ferenc Gyurcsany.

Gyurcsany démissionna en invoquant son incompétence face à la crise économique. Rien de tel chez Topolanek qui, lui, sait ce qu’il faut faire et surtout ce qu’il ne faut pas faire. C’est ce qu’il a expliqué le jour même de la chute de son gouvernement devant un parlement européen stupéfait en s’en prenant avec virulence à la politique du président Obama : les sauvetages de banques, les relents protectionnistes et surtout la politique de relance massive par l’Etat fut qualifiée par Topolanek, le président en exercice de l’Union européenne, comme une « voie menant en enfer ».

Le New York Times titrait le lendemain : « EU président calls US stimulus the ‘way to hell’ » . Le porte parole de la Maison Blanche attribua ces propos aux circonstances de politique intérieure du premier ministre tchèque. Ce n’est pas tout à fait exact : la raison est idéologique, une foi inébranlable dans la capacité du marché à résoudre tous les problèmes que Topolanek comme Klaus on appris du modèle américain du dernier quart de siècle. Le franc parlé de Topolanek est bien connu, il avait qualifié le projet de Constitution européenne de « big shit ». Mais s’en prendre au président américain à la veille de son arrivée en Europe pour le G20 et sa visite à Prague peut surprendre (elle a choqué nombre de députés européens qui précisèrent que Topolanek ne parlait pas au nom de l’UE). Le 5 avril, le président Obama et son épouse seront reçu à Prague, au nom de l’UE, par… Vaclav Klaus.

Car la première conséquence de la crise pragoise c’est l’affaiblissement d’un eurosceptique pragmatique (Topolanek) par un europhobe convaincu (Klaus). Il surprend parfois, il aime provoquer toujours, mais personne ne lui reproche un manque de vraie conviction. Il en a une essentielle : l’UE est un carcan menaçant la liberté (comparable au Comecon soviétique) et dont le traité de Lisbonne est la dernière mouture. Klaus fera tout pour empêcher ou du moins reporter sa ratification. Cela fait aussi partie des dégâts collatéraux de la crise gouvernementale à Prague.