Déjà en 1801, à la suite d’une campagne amère marquée par des coups bas, Thomas Jefferson avait prêté serment en affirmant qu’au delà de nos différences, nous sommes unis par des « principes partagés ». Soixante ans plus tard, alors qu’une guerre civile assombrissait l’horizon, Abraham Lincoln rappelait « les liens d’affection » qui devaient unifier le Nord libre et le Sud esclavagiste. Ni les principes ni l’affection ne suffirent à éviter la guerre, qui fut sanglante.
Deux discours inauguraux ont marqué le XXè siècle, et Barack Obama n’a pas caché qu’il les avait soigneusement étudiés. Le premier est celui de Franklin Delano Roosevelt, pendant la Grande Dépression. Sa thèse se résume à une phrase : « nous n’avons rien à craindre que la peur elle-même – une terreur sans nom, irrationnelle et sans justification, qui paralyse les efforts nécessaires à transformer le recul en une nouvelle avancée. » Ces paroles expriment l’esprit du New Deal. FDR pouvait innover parce qu’il ne s’était pas fait élire sur un programme élaboré, des promesses précises, une engagement. Roosevelt savait se servir des mots pour donner de la cohérence à diverses expériences – aux réussites comme aux échecs– qui sont devenues le New Deal, soit un esprit politique plus qu’une doctrine.
La capacité de la parole inaugurale à « transformer le recul en une nouvelle avancée » fut réaffirmée par John Kennedy en 1961. Le jeune sénateur, premier catholique à entrer à la Maison blanche, prenait ses fonctions à un moment où l’Amérique doutait d’elle-même. Le mouvement des droits civiques mettait en question les rapports sociaux et la guerre froide se réchauffait à la suite du lancement du Spoutnik par les Soviétiques. Le discours inaugural de Kennedy a transformé les esprits. « Le flambeau, a-t-il déclaré, est passé à une nouvelle génération » qui, sur le plan domestique reconnaît qu’ « une société libre incapable d’aider ses pauvres sera incapable de préserver ses quelques riches », alors qu’en politique étrangère, ajoutait-il, il ne faut « jamais négocier à partir de la peur, mais ne jamais craindre de négocier ».
Le flambeau se transforme ensuite en « trompette », et le président adresse à la nouvelle génération cette phrase fameuse : « il ne faut pas demander ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays ».
Barack Obama s’est servi des paroles pour se faire élire. Saura-t-il les utiliser pour gouverner un pays en crise économique, qui doute de sa place un monde globalisé ? L’Amérique est devenue cynique après huit ans pendant lesquels G. Bush n’a réussi qu’à un seul projet : discréditer l’idée même du gouvernement ?
Il ne faut pas oublier qu’avant de battre le candidat républicain John McCain, Barack Obama a dû vaincre Hillary Clinton lors des primaires démocrates. Ses supporteurs de la première heure sont déçus de voir siéger dans son cabinet des anciens du gouvernement Clinton – à commencer par Hillary elle-même. Ils se souviennent du discours inaugural de Bill Clinton en 1997, qui affirmait que « l’ère du Big Government est finie ». Croient-ils la récente affirmation du nouveau président élu que « ce n’est que le gouvernement qui peut rompre le cycle vicieux qui estropie notre économie » ? Profère-t-il des paroles ou engage-t-il sa parole ? Pourquoi propose-t-il de nouvelles réductions d’impôts, en maintenant celles de Bush ? Doit-on prendre au mot la promesse de sortir bientôt de l’Irak, ou de fermer Guantanamo ?
Maître en communication, Barack Obama cherche la quadrature du cercle en évoquant « un nouvel esprit de responsabilité » manifesté par le fait que tous ses discours sont accessibles sur Internet, et que toute proposition législative, jusque dans le moindre détail, sera mise en ligne afin que le citoyen puisse faire confiance à la parole donnée par le gouvernement.
Cette nouvelle responsabilité n’incombe pas seulement au gouvernement. Il faut restaurer la responsabilité des citoyens. Selon un récent sondage CNN, 82% des Amériques disent que Barack Obama est capable de leur inspirer confiance. Le premier président noir, celui qui est le plus jeune depuis Kennedy, et celui qui doit redonner confiance à une Amérique frappée par une crise économique plus grave que celle affrontée par Roosevelt, doit montrer que les paroles portent une promesse qui ne peut se réaliser que par la remobilisation du politique.