Des campagnes très négatives

A moins de six mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

Les Etats-Unis ont fêté lundi le « Memorial Day », cette commémoration des guerres passées qui prélude en quelque sorte à la trêve de l’été après la fin des primaires pour l’élection présidentielle. Mais pendant cette trêve la campagne électorale se poursuit. Selon les sondages, les deux candidats sont ex æquo. Ils vont essayer de se distinguer alors que l’attention du public se concentre sur le baseball puis les JO de Londres. 

Paradoxalement, ils vont se définir par la critique de leur opposant dans ce qui promet d’être une campagne très négative. Mitt Romney s’assurera du soutien des diverses factions de son parti en dénonçant le supposé « socialisme » d’Obama dont la réforme du système d’assurances santé, que les républicains appellent « Obamacare », est le symbole le plus flagrant. Ensuite, et selon la même logique, il critiquera les règles imposées par Washington qui, selon lui, découragent l’investissement productif. Enfin, il dénoncera l’augmentation des déficits budgétaires, et donc de la dette nationale, tout en élidant la crise économique sans précédent héritée du gouvernement Bush.

Dans le cas d’Obama, ce travail négatif a déjà été entamé lors des primaires Républicaines où Mitt Romney était critiqué comme un adepte du « capitalisme vautour », et comme un homme d’affaires riche, incapable de comprendre les difficultés quotidiennes des gens ordinaires. Obama illustrera cette critique par des exemples de firmes rachetées par l’entreprise repreneur dirigée par Romney, Bain Capital, et ensuite acculées à la faillite au prix d’emplois perdus—une pratique qu’on appelle « capitalisme du vampire » du fait qu’elle draine le sang d’une entreprise vivante. Morte, elle ne produit plus que du chômage. Enfin, Obama admettra que le capitalisme repreneur pratiqué par Romney n’est pas le mal absolu, mais il insistera sur la distinction entre le caractère de celui dont la fin est de gagner de l’argent et de celui qui doit gouverner un peuple divers, démocratique et libre. Dans ce contexte, Obama se moquera de la phrase juridique plusieurs fois répétée par Romney, à savoir que « les corporations sont des personnes ». 

Mais tous les Démocrates ne sont pas d’accord avec cette manière de critiquer Romney. Le très populaire maire noir de Newark, Corey Booker et l’ancien gouverneur de la Pennsylvanie, Ed Rendell, mettent en question cette critique.

Oikos ou polis, une question de point de vue

En effet, donner l’impression d’être anti-capitaliste aux États-Unis n’est pas une tactique payante. Il faudrait distinguer. Comme l’a remarqué John McCain, le candidat Républicain de 2008, ce n’est que dans l’ancienne Union Soviétique qu’il n’y avait pas de faillites. Mais il faut éviter le simplisme des commentateurs qui répètent ad nauseum le slogan de Bill Clinton en 1992 : c’est l’économie, imbécile ! L’argument d’Obama est autant politique qu’économique lorsqu’il insiste sur la distinction entre les deux sphères qu’Aristote dénommait l’oikos et la polis, c’est à dire l‘économie et la cité ; la première, l’économie, est focalisée sur le bien particulier, tandis que la seconde, la cité, vise le bien commun. De ce point de vue, on comprend la portée d’un récent sondage qui, évaluant l’ « amabilité » (likeability) des candidats, donne 48% à Obama contre seulement 33% pour Romney, tandis qu’un autre dit que le président est plus « accommodant » (easygoing) que son opposant, par un score de 54% contre 18%. Après tout, un président des États-Unis n’est pas le PDG d’une entreprise qui donne des ordres aux salariés chargés de les exécuter.

Le poids de la dette étudiante

Un autre sujet politique à surveiller cet été est le financement des universités et les dettes étudiantes. La dette encourue par les étudiants aux États-Unis dépasse celle accumulée sur les cartes de crédit des consommateurs.

Ce chiffre est affolant ! Il dépasse les mille millions de dollars. On parle moins des gens qui fréquent les universités d’élites de la Ivy League que de ceux qui se tournent vers les écoles d’apprentissage pratiques, toutes les deux étant privées ; entre les deux se trouvent des universités d’Etat et des collèges intermédiaires, tous deux publics, qui souffrent des coupures imposées par la crise. 

Si on parle aujourd’hui de cette dette étudiante, c’est qu’une loi votée lors de la crise, qui réduisait le taux d’intérêt sur les prêts fédéraux de 6,8% à 3,4%, expire le 1er juillet. Les deux candidats ainsi que leurs partis disent vouloir prolonger cette réduction. Or, ils sont partis en vacances pour le Memorial Day sans se mettre d’accord sur son financement. Pour les Républicains, braqués sur le déficit, il faut compenser le manque à gagner par des réductions des dépenses sociales alors que les Démocrates proposent d’éliminer des niches fiscales et de lever une taxe spéciale sur les millionnaires. On ne sait pas comment se terminera ce marchandage ; ce qu’on peut savoir, par contre, c’est que les universités d’élite continueront à reproduire une élite alors que le système public ouvert aux talents a du plomb dans l’aile, et que le poids de leurs dettes encourage les étudiants à suivre des cursus de plus en plus professionnels tandis que l’idée d’une carrière de service public devient un rêve d’humanistes dépassés.

Retour à la guerre au Vietnam

Obama a fait un discours spécial pour célébrer Memorial Day devant le monument aux Vétérans de la Guerre du Vietnam rappelant que ce conflit avait commencé il y a cinquante ans. S’il y revient maintenant, c’est d’abord parce que le constat que cette guerre au Vietnam a duré 13 ans met en valeur le fait que Obama non seulement a mis fin à la guerre en Irak mais qu’il est en train d’en finir avec celle en Afghanistan. Ensuite, l’armée qui a fait cette guerre au Vietnam était composée de conscrits qui étaient appelés à faire un service militaire en principe universel qui ne durait qu’un an sur le terrain alors que les guerres contemporaines sont le fait de professionnels qui font plusieurs tours sur le champ de bataille. Pour cette raison, il y a beaucoup plus de vétérans du Vietnam, donc beaucoup de voix électorales. Pour l’instant, Romney jouit d’un avantage de 24% chez les vétérans, un écart qu’Obama cherche à réduire. Il pense pouvoir y parvenir parce que, pour la première fois depuis longtemps, les Démocrates au pouvoir sont fiers de leur politique sécuritaire, la mort de Ben Laden n’étant que l’illustration la plus symbolique de leurs prouesses.