Détroit est vivant alors que Ben Laden est mort

Chaque semaine, Dick Howard, professeur émérite à la Sony University de New York, commente la campagne pour l’élection présidentielle du 6 novembre. A moins de deux mois du jour J, les conventions terminées, apparaissent les éléments qui pourront faire la décision.

s conventions se suivent et se ressemblent, disent les commentateurs : belle mise-en-scène, pas de gaffes… et pas de contenu ! Si ces réunions étaient jadis le lieu de décision, elles ont acquis désormais un autre sens.

Les protagonistes des deux partis défendent évidemment ces fêtes, qui tout d’abord réchauffent les cœurs de ceux qui auront à mener la bataille pendant les 55 jours avant le jour « J ». Les délégués auront été actifs depuis le matin jusqu’à l’aube suivante ; ils auront assisté à des petits déjeuners avec les délégués de leur Etat, reçu la visite de candidats au Congrès et aussi de ceux qui préparent une candidature pour 2016 ; l’après-midi ils auront pu assister à des séminaires, des conférences et des briefings sur des questions de politique étrangère et domestique ; puis le soir, ils auront écouté des discours de gouverneurs, députés, maires et aussi de PDG, qui tous amplifient et élaborent le volume du message partisan tout en se faisant connaître par un plus grand public… comme le fit en 2004 le jeune sénateur Barack Obama ! Après le dernier discours, quand le son des « tweets » se sera éteint, les fêtes bien arrosées, sponsorisées par des groupes intéressés auront continué jusqu’au petit matin. En un mot, une convention, c’est un lieu parfait pour faire du « networking », un élément crucial dans une société démocratique.

Le rôle décisif des Etats

A la lumière des sondages, aucun des deux candidats n’aura pu tirer un avantage significatif de sa convention. 

On a tout de même l’impression que les délégués Démocrates soutenaient leur candidat avec plus d’enthousiasme. Mais il faut lire les sondages nationaux avec prudence. Par exemple, en 2008, Barack Obama n’avait récolté que 53% des voix populaires, ce qui a constitué, avec les voix des représentants des Etats, les voix « électorales », l’écart le plus grand depuis 20 ans ! Le système américain a ceci de paradoxal que les élections nationales se jouent au niveau des Etats. L’élection présidentielle est une élection au suffrage indirect. Le vainqueur doit récolter au moins 270 voix de grands électeurs ; or, en 2008, les 53% d’Obama lui rapportaient 365 voix de grands électeurs (contre 173 pour McCain). Comme certains Etats sont solidement ancrés dans l’un ou l’autre camp—les Etats du sud voteront Républicain, la Californie et New York sont fidèles aux Démocrates— il faut inventer une stratégie visant les Etats qui pourraient basculer, les « swing states ». Il y en a huit ou neuf : la Floride, le New Hampshire, l’Ohio, la Caroline du nord, la Virginie, le Nevada, le Colorado, l’Iowa—et peut-être le Wisconsin de Paul Ryan. Pour ce qui est de la tactique, ces Etats seront abreuvés de publicités, ils recevront la visite des candidats, et seront ciblés par les Super-Pacs supposés être indépendants mais de facto liés aux candidats. Enfin, comme on l’a vu lors des conventions, le soutien d’une figure comme Bill Clinton ajoute du poids à la campagne d’Obama, alors que le nom de George Bush ne fut pas mentionné à Tampa où l’on avait l’impression que beaucoup des figures nationales du parti préparaient leurs campagnes de 2016 !

On parle de stratégie, de tactique, mais on n’entend peu de choses au sujet du programme des uns et des autres. Pourtant, dans une démocratie, l’électeur doit être confronté à un vrai choix.

Le dit et le non-dit – par qui ?

Et bien évidemment, chaque parti a voté une plateforme lors de sa convention. Mais ce ne sont que des vœux pieux que ne lit pas l’électeur moyen et qui ne contraignent pas le candidat, qui s’y réfère de façon sélective. Par exemple, lors de son discours à Tampa, Mitt Romney n’a pas mentionné l’Afghanistan où se poursuit la guerre la plus longue de l’histoire du pays. Quant au président, s’il se réclame de ce qu’il appelle maintenant « Obamacare », et des bienfaits que cela apporte aux classes moyennes, il prend soin de ne pas parler de « Medicaid », le programme d’aide aux plus démunis, souvent des minorités. Est-ce une défaillance démocratique ? Je ne le pense pas. Il ne faut pas sous-estimer la critique réciproque qui cible le non-dit et dénonce le mensonge et l’exagération, ni non plus la contribution des journalistes et des commentateurs—les membres de ce qu’on appelle « le quatrième pouvoir » —qui créent et maintiennent une sphère publique où, au delà du jeu des politiques, les citoyens s’éduquent mutuellement sur les enjeux de leur choix de candidat. S’il y a une défaillance de la démocratie, c’est plutôt le résultat du poids de l’argent et des Super-Pacs.

Depuis le début de la campagne, Mitt Romney a repris le slogan de Bill Clinton en 1992 : « c’est l’économie, imbécile » ! Aucun président sortant ne s’est fait réélire avec un taux de chômage au dessus de 8%. Le lendemain de sa convention, Barack Obama a dû apprendre le chiffre décevant des créations d’emplois au mois d’août. Il va devoir faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Cibles démographiques contre cibles géographiques

Il reviendra donc sur les conditions existant au début de son mandat, quand 800 000 emplois disparaissaient chaque mois,pour affirmer qu’il a non seulement arrêté l’hémorragie mais que les trois dernières années ont vu la création de plus de 3 millions d’emplois. Il reprendra le slogan introduit par Joe Biden : « Détroit est vivant alors que Ben Laden est mort ». Mais avant tout, il adoptera une stratégie qui ciblera trois groupes démographiques  : les Latinos[1], les femmes (surtout les célibataires), et les jeunes. Ce choix démographique est significatif, car ces trois catégories se retrouvent dans tous les Etats « balançoires », ce qui donne à Obama plusieurs manières d’accumuler les 270 voix de grands électeurs nécessaires. Par contre, la stratégie de Mitt Romney dépend plutôt de la géographie des régions touchées chaque fois de manière différente par les effets de la crise, ce qui lui impose de souligner des thèmes différents selon l’Etat où il fait campagne[2]. Du coup, lorsque le débat redeviendra national—avec le premier des trois débats télévisés le 3 octobre – Obama aura l’avantage d’avoir développé une politique consistante et suivie alors que les louvoiements de son opposant auront affaibli la cohérence de sa vision et rappelé sa réputation de « girouette opportuniste ».

 

 

[1] En 1992, lorsque Bill Clinton inventait le slogan « c’est l’économie, imbécile », les minorités constituaient seulement 12% de l’électorat, alors qu’elles étaient 26% en 2008 et seront environ 28% cette année.

[2] Par exemple, en Floride ce sera l’assurance médicale face à une population de retraités, dans le Nevada, ce seront les faillites dues à la crise hypothécaire, en Caroline du nord et dans la Virginie il s’agira des coupes dans le budget du Pentagone…