Deux non évènements dans la campagne

A moins de six mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

 

Du côté des Etats-Unis, alors que l’attention se focalisait la semaine passée sur la réunion du G-8 à Camp David, puis du G-20 à Chicago, la politique domestique était, pour ainsi dire, marquée par un non-événement : l’abandon de la course présidentielle par le groupe « Americans Elect »

Le candidat introuvable

Cette organisation voulait élire un président « indépendant » qui saurait rassembler la vaste majorité du pays, dégoutée par la politique de plus en plus radicale des deux partis établis. Elle semblait avoir tout pour plaire : la maîtrise de la technologie digitale, de bons conseillers en marketing, et surtout beaucoup d’argent. Il ne lui manquait qu’une chose, fondamentale : un candidat. Celui ou celle-ci aurait été désigné de façon on ne peut plus démocratique : par un vote par internet ouvert a tout venant. Or pour voter, il fallait qu’il y ait des candidats. Hélas, tous ceux qu’on a approchés—des politiques actifs ou retraités, des chefs d’entreprises, des présidents d’université—ont refusé la candidature. On peut en tirer plusieurs leçons dont la première est sans doute qu’on ne change pas la vie politique du pays par le haut. La puissance de la présidence n’est pas illimitée. La fin de la politique partisane, qui se manifeste surtout au sein de la branche législative, n’est pas pour demain. Sinon, Barack Obama n’aurait pas rencontré les problèmes qu’on connaît, et le pays aurait évité la polarisation qui conduit à la paralysie actuelle.

L’argent ne suffit pas

Lorsqu’on interrogeait ceux qui auraient pu devenir des candidats crédibles, ils évoquaient souvent ce qu’on appelle « la campagne négative permanente » où au travers de publicités négatives on passe au microscope toute la vie des candidats pour distiller une image dégradante du personnage. À cela s’ajoute le fait que les blocages actuels de la politique électorale font penser qu’il y a d’autres canaux plus accessibles à ceux et celles qui veulent influencer la vie du pays. Il y a une deuxième leçon à en tirer : malgré les apparences, l’argent ne règne pas sans conteste dans la vie politique. « Americans Elect » avait de l’argent ; et d’éventuels candidats auraient pu en apporter du leur—comme ce fut le cas du milliardaire Ross Perot dont la candidature indépendante en 1992 reçut 19% des voix (et fit élire Bill Clinton contre le président sortant, George Bush senior). Enfin, la troisième leçon est que l’existence de la fameuse classe moyenne centriste, composée d’électeurs indépendants est un mythe inventé à partir de sondages qui confondent une photographie sociale unidimensionnelle avec la réalité complexe d’une société moderne et plurielle où les gens ont des intérêts divers, parfois contradictoires et pas toujours rationnels.

Les Super-Pacs ciblés issus de l’affaire “Citizens United”

Le poids des Super-Pacs s’est d’abord fait sentir lors des primaires Républicaines, c’est à dire, au moment où il y avait déjà des candidatures. Celles-ci, par ailleurs, ne prétendaient pas attirer l’électeur moyen et indépendant, bien au contraire ! Ainsi, par exemple, la candidature de Newt Gingrich, comme celle de Rick Santorum, dépendaient de l’argent dépensé en leur faveur par de très riches contributeurs attirés par une cause particulière (Israël dans un cas, l’avortement dans l’autre). Qu’en sera-t-il lors des présidentielles ? Du côté Républicain, sous l’égide de l’éminence grise de la présidence Bush— Karl Rove—les Super-Pacs « American Crossroads » et son cousin « Crossroads GPS » joueront un rôle plus important que leurs équivalents Démocrates. Mais étant donné les sommes fabuleuses qui seront dépensées dans les campagnes elles-mêmes—environ mille milliards de dollars—cela ne sera sans doute pas la goutte qui fait déborder le vase. C’est au niveau des candidatures pour le Congrès que le rôle des Super-Pacs pourra être déterminant. Dans la Chambre, par exemple, les Démocrates doivent conquérir 25 sièges (sur 435) pour prendre la majorité. Quand on sait que les trois dernières élections ont vu un changement de 24 sièges dans un sens ou dans l’autre, il est évident que l’enjeu est important. Une analyse récente dans le Washington Post (18 mai) souligne le fait que les Républicains au Congrès ont levé quatre fois plus d’argent que les démocrates qui, pour leur part, comptent sur la mobilisation des syndicats, des écologistes et des avocats. Lequel aura le poids décisif ?

Le tournant asiatique n’a pas eu lieu 

Pour terminer tout de même sur les événements sur la réunion du G-8 et de celle de l’OTAN, on peut dire que de belles paroles furent échangées par les leaders, et que Rahm Emanuel, le maire de Chicago et ancien directeur du cabinet de Barack Obama, peut se glorifier de ne pas avoir été dépassé par les manifestants, somme toute peu nombreux. Pour le reste, les décisions prises furent minimales : la France se retirera de l’Afghanistan comme promis par François Hollande à la fin de 2012 ; l’OTAN—principalement les États-Unis—insiste sur le fait qu’à partir du milieu de 2013, les Afghans dirigeront les combats, et que l’OTAN ne quittera le pays qu’en 2014. C’est une défaite, après plus de dix ans de guerre, mais on ne va pas l’admettre. Or, si les rapports avec Hamid Karzaï se sont améliorés, ceux que les Etats-Unis entretiennent avec le Pakistan sont au plus bas. Ce qui est plus remarquable que ces résultats prévisibles, c’est peut-être un autre non-événement : le tournant asiatique de la politique américaine n’a pas eu lieu. C’est comme si les États-Unis avaient reconnu que, malgré l’importance croissante de la région pacifique, c’est quand même l’Europe, et l’Euro—et, au delà, l’OTAN—qui continueront à peser, du moins dans l’avenir proche. Reste la question : « Est-ce que Madame Merkel est sur la même longueur d’ondes ? »