En attendant les Conventions

A trois mois des élections aux États-Unis, nous publions chaque semaine la chronique de Dick Howard, professeur de philosophie politique à la Stony Brook University dans l’Etat de New-York.

Nous sommes à 90 jours de l’élection du 6 novembre. Nous sommes aussi à 21 jours de l’ouverture de la Convention nationale républicaine le 27 août… et à 28 jours de celle de la Convention démocrate. Alors, malgré le temps estival, les choix doivent commencer à se décanter.

Comme dans les fameuses histoires de Sherlock Holmes, il faut faire attention au chien qui n’aboie pas. Parce que les électeurs qui votent dans les primaires sont les plus engagés et les plus motivés, le vainqueur aura dû faire allégeance aux radicaux de son parti. Ensuite, il devra se recentrer pour s’attirer les voix des modérés de son propre parti ainsi que des indépendants. Or, à ce qu’on voit, Mitt Romney, qui a dû avaler pas mal de couleuvres, reste fidèle aux idoles de la droite auxquelles il a rendu un hommage assidu lors des primaires. Pense-t-il vraiment qu’il pourra être porté à la magistrature suprême par une vague antipolitique impulsée par les rebelles du Tea Party ? Ou est-ce que le poids de la droite du parti Républicain est devenu tel qu’il n’existe plus de centre à retrouver ? C’est ce que suggère la victoire de Ted Cruz, candidat Tea Party aux primaires sénatoriales du Texas la semaine passée ; et on aura vu le 7 août la même figure de contestation lors des primaires du Kansas et du Missouri.

 

Obama poussé à gauche

 

Face à cette droitisation de la campagne Romney, Barack Obama redouble la mise, décrivant cette élection comme le choix entre deux idéologies politiques radicalement différentes, l’une tournée vers le passé, l’autre cherchant à colmater la brèche de 2008 pour ouvrir le chemin vers l’avenir.

 

Mais le tournant, chez Obama, s’est produit avant la désignation de Romney. Le moment crucial a eu lieu il y a un an, en août 2011, lorsque les Républicains refusaient le « grand compromis » proposé par Barack Obama afin d’augmenter le plafond de la dette nationale. Le président s’est rendu compte alors que sa recherche d’une politique post partisane n’était pas réaliste. Il s’est donc résolu à passer à l’attaque, ce qu’on voit aujourd’hui par exemple dans la fière revendication de l’étiquette « Obamacare », un peu comme autrefois les militants noirs se réclamaient du « Black Power ». Or, comme la politique est un sport où il faut faire attention aux positionnements de l’opposant, cette « gauchisation » d’Obama ouvrait une place au centre qu’aurait pu saisir le candidat Républicain. Si l’ancien gouverneur de l’Etat « libéral » qu’est le Massachussetts ne s’est pas saisi de l’occasion, c’est sans doute qu’il craignait les foudres de la puissante droite de son parti. 

 

Au centre, le vide

 

C’est peut-être une bonne chose que les choix se précisent, que les partages soient clairs, et que l’électeur sache non seulement pour qui il vote mais pourquoi il choisit ainsi. Vu de Sirius, ou de mon bureau de philosophe, c’est peut-être une bonne chose que les politiques prennent clairement position au lieu de se laisser porter par les sondages qui prétendent définir un centre mou. Et ce serait sans doute aussi une bonne chose dans tout pays gouverné par un système parlementaire. Mais aux Etats-Unis le président n’est pas un premier ministre qui peut compter sur une majorité parlementaire pour imposer son programme ; il n’a pas non plus les pouvoirs que détient un président de la Ve République française. Étant donné la séparation des pouvoirs, il faut qu’il y ait des modérés dans les deux partis pour faire le lien entre les extrêmes partisans. C’est la thèse défendue récemment par deux des commentateurs les plus réputés, Thomas Mann et Norman Ornstein, dans un livre assez pessimiste : It’s Even Worse than It Looks.[1] Les auteurs soulignent le blocage partisan actuel, mais les remèdes institutionnels qu’ils imaginent n’inspirent nullement confiance. La fameuse Constitution bicentenaire américaine porte mal ses rides !

 

Structure et conjoncture

 

En attendant, le Congrès est parti pour six semaines de vacances sans résoudre des problèmes aussi fondamentaux que le renouvellement des aides à l’agriculture, pourtant gravement touchée par les aléas climatiques. Et comme on l’a rappelé la semaine passée, il y a des « falaises fiscales » qui les attendent le 1er janvier avec l’expiration de la baisse des impôts Bush…

 

Il faut distinguer le dilemme politique, qui est actuel et la question institutionnelle, qui est structurelle. C’est le fondateur de la sociologie politique, Max Weber, qui exprimait la crainte qu’une telle conjoncture ne puisse se résoudre que par l’émergence d’un leader charismatique qui sache emporter l’enthousiasme unanime du pays. Beaucoup l’attendait en 2008 de Barack Obama. Il est redevenu, sous la contrainte de l’opposition, un homme politique partisan, et son avantage dans les sondages semble résulter avant tout du fait qu’il est perçu comme plus « sympathique » que le froid Mitt Romney. Or, ce dernier n’a pas encore choisi son colistier, ni mis en scène la grand messe partisane que sera la Convention Républicaine à Tampa. Se pourrait-il qu’il nomme un colistier qui soit à la fois « sympathique » et « centriste » ? Ce serait réaliser le grand écart politique. Restera néanmoins la question institutionnelle…et la « falaise » !


[1] Le sous titre du livre est plus explicite : How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism (New York : Basic Books, 2012).