Enseigner l’histoire

Gilles Lapouge est depuis des décennies le correspondant en France du journal brésilien O Estado de Sao Paulo. Dans une chronique, dont nous publions le texte ci-dessous, il déplore l’abandon de l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les lycées, décidé par le précédent ministre de l’Education nationale, Luc Chatel. Mais "l’histoire ne s’est pas laissé faire". Les Français adorent l’histoire et le nouveau ministre, Vincent Peillon, l’a rétablie dans les programmes scolaires.

Il y a deux ans, le ministre de l’Education Nationale, Luc Chatel, expulsait l’histoire et la géographie des lycées. Il se voulait « moderne », efficace, pratique : ce Moyen Age, avec ses rois, ses « gentes demoiselles », ses bâtisseurs d’église et ses paysans mal habillés et même analphabètes, c’était un peu vieillot, quand même. La date de « péremption » était dépassée. A la poubelle, le Moyen Age !

Et, tant qu’à faire, pourquoi perdre son temps avec la Renaissance ? Tous ces papes lubriques, ces Borgia, ces « condottieri », ce Vinci et ce Giotto, ça ne sert à rien, ça ne fait pas trouver du pétrole. Ca ne rapporte pas un dollar !.

Quant à la Révolution française de I789, c’était une bande de braillards. Et même Napoléon, c’était un bon soldat, d’accord, mais enfin, à quoi sert-il de connaître son génie et sa folie pour des élèves qui, plus tard, dirigeront des banques, enlèveront des « parts de marché » aux Chinois ou construiront les autoroutes du XXIe siècle. On est moderne ou on ne l’est pas, que Diable !

L’Histoire ne s’est pas laissé faire. On s’est aperçu avec enchantement que les Français adorent l’histoire. Un journal populaire, « Le Journal du dimanche », a augmenté son tirage en prenant parti pour l’histoire et la géographie. Une protestation a réuni 28.OOO signatures indignées.

Aujourd’hui, après deux ans de sevrage, l’Histoire revient grâce au nouveau ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon. Elle sera de nouveau enseignée jusqu’en « terminale » (dernière année de lycée) et sera une des épreuves obligatoires du baccalauréat , comme au « bon vieux temps ».

L’effacement de l’histoire était particulièrement scandaleux dans un pays tel la France, qui n’est que la somme des vingt siècles qui l’ont secrétée et comme cristallisée. Paris ou Rome, ou Bahia, ou Londres ou Sao Luis do Maranhao, qu’est ce donc si ce n’est de tragiques et lumineuses promenades dans la mémoire du monde ? Et comment comprendre les arcanes de la « modernité » si le passé ne peut pas être aperçu, en transparence de nos journées, un peu comme une image brille derrière une vitre ?

En I939, on dit au grand historien Marc Bloch qu’il est futile de fouiller le passé alors que la Deuxième guerre mondiale vient d’éclater. Marc Bloch répond : « Mais j’apprends Charlemagne et Robespierre afin de comprendre la guerre qu’Hitler vient de nous déclarer ».

Toute la peinture classique, de Michel Ange à Picasso, de Cranach ou Durer à Turner ou Paul Klee, n’est qu’une façon somptueuse de feuilleter les siècles qui nous ont fabriqués. Effacer la mémoire, c’est amincir l’épaisseur du temps, cette épaisseur qui est l’Etre même d’un pays, exactement comme l’enfance est l’Etre d’un homme ou d’une femme.

Reste que les programmes d’un écolier du XXIe siècle sont si écrasants qu’ils excèdent les aptitudes d’un adolescent. Comment peut-il entasser dans sa petite tête toutes les mathématiques, les sciences physiques et l’économie, l’orthographe et l’anglais, la chimie, le droit etc.. etc..

Si l’on continue de bourrer les cervelles des élèves, on finira par les faire exploser. C’est là un des grands défis de l’enseignement. Ce défi, la France a cru sottement le relever, voici deux ans, en supprimant d’un trait de plume une discipline jugée non « utile » ( l’affreuse expression). N’eut-il pas été plus intelligent de réfléchir sur de nouvelles manières, de nouvelles méthodes d’enseignement ? C’est là une mission subtile. Peut-être une « mission impossible ». Même impossible, cependant, elle mérite d’être tentée plutôt que de démolir à grands coups de pioche deux mille ans de la mémoire des hommes.