Dans trois pays d’Amérique latine, le désamour des opinions publiques fait chuter ou vaciller des forces politiques qui furent naguère plébiscitées par les électeurs avant de susciter leur méfiance, voire leur hostilité. En Argentine, le candidat du Parti justicialiste, fondé en 1947 par le général Peron et revenu au pouvoir en 1989, après diverses péripéties, avec Carlos Menem puis Nestor Kirchner, a perdu l’élection présidentielle face à son rival libéral, Mauricio Macri, malgré le soutien de la présidente sortante, Cristina Kirchner. Au Brésil, la présidente, Dilma Rousseff, élue en 2010 à la succession de « Lula » puis réélue en 2014, est menacée d’une procédure de destitution pour maquillage des comptes publics alors qu’une vaste enquête pour corruption vise son parti, le Parti des travailleurs. Au Venezuela, Nicolas Maduro, qui a remplacé en 2013 Hugo Chavez, l’apôtre de la « révolution bolivarienne », mort d’un cancer après quatorze ans à la tête de l’Etat, est l’objet d’une vive contestation qui pourrait provoquer sa défaite aux élections législatives du 6 décembre.
Au-delà des éventuelles faiblesses des personnes mises en cause, dont l’autorité politique est sans aucun doute inférieure à celle de leurs devanciers, ce sont de puissants courants politiques, profondément inscrits, depuis plus ou moins longtemps, dans l’histoire de ces pays, qui montrent aujourd’hui leurs limites. En Argentine, c’est le péronisme, ce mouvement populiste né au lendemain de la seconde guerre mondiale et toujours présent sur la scène politique, qui se trouve mis en échec. Au Brésil, c’est le « lulisme », incarné depuis plusieurs décennies par Luiz Inacio « Lula » da Silva, ancien syndicaliste, fondateur en 1980 du Parti des travailleurs et devenu, après plusieurs candidatures infructueuses, président de la République en 2002 avant d’être réélu en 2006, qui montre des signes d’épuisement. Au Venezuela, c’est le « chavisme », cette idéologie socialiste inspirée de la grande figure du « Libertador » Simon Bolivar (1783-1830) mais inséparable de celle de l’ancien président Hugo Chavez, qui perd du terrain face à une opposition revigorée.
Plusieurs traits communs
Ces mouvements relèvent de traditions politiques différentes. Ils n’ont ni la même histoire ni les mêmes idées. Mais ils ont plusieurs traits en commun. Le premier est d’être, chacun à sa façon, des mouvements de gauche, qui donnent la priorité à la politique sociale et qui sont combattus, avec vigueur, par la droite. Ce positionnement a deux conséquences : d’une part, ils refusent les solutions néo-libérales et choisissent de donner à l’Etat un rôle prépondérant ; d’autre part, ils entendent garder leurs distances à l’égard des Etats-Unis, au nom de la défense de leur indépendance. Cet anti-américanisme a rapproché les trois pays, qui ont resserré leurs liens au cours des dernières années.
Le deuxième trait commun au péronisme devenu « kirchnérisme », au « lulisme » et au « chavisme » est de s’appuyer sur des personnalités fortes et parfois charismatiques qui ont permis à ces mouvements de surmonter les divisions de la société et de rassembler autour de leurs chefs des clientèles variées. Troisième trait : après l’effacement de leurs dirigeants historiques, ils sont atteints par l’usure du pouvoir, dont le haut niveau de corruption est l’un des principaux indicateurs.
Les difficultés économiques qu’ont connues ces trois pays ont affaibli le crédit de leurs dirigeants. Au Venezuela, Nicolas Maduro a réagi par un surcroît d’autoritarisme tandis que Cristina Kirchner, en Argentine, et Dilma Rousseff, au Brésil, ont laissé s’exprimer la contestation. Les « modèles » auxquels se sont identifiés les trois présidents ont cessé de convaincre leurs compatriotes. Le « kirchnérisme » s’est révélé impuissant à répondre aux attentes multiples qu’il avait suscitées. Le « lulisme », après avoir réussi à améliorer le sort des plus pauvres et à établir un compromis politique qui lui assurait un large soutien, semble avoir épuisé ses effets. Le « chavisme » enfin a dégénéré en un régime quasi-dictatorial au bord de la faillite. S’il est trop tôt pour prédire la fin de ces mouvements politiques nés des soubresauts du XXème siècle, au moins devront-ils apprendre à s’adapter aux temps nouveaux.