A six semaines du premier tour de l’élection présidentielle, la victoire de la présidente sortante, Dilma Rousseff, paraît moins assurée face à la percée de l’écologiste Marina Silva, soutenue par le PSB en remplacement d’Eduardo Campos, victime d’un fatal accident d’avion. Alors que les premiers sondages plaçaient Eduardo Campos en troisième position au premier tour, avec moins de 10% des intentions de vote, loin derrière les candidats des deux grands partis qui alternent au pouvoir depuis le retour de la démocratie, Dilma Rousseff pour le Parti des travailleurs (PT) et Aecio Neves pour le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), Marina Silva apparaît désormais comme une prétendante sérieuse à la victoire.
Une enquête de l’Institut Datafolha publiée il y a quelques jours la place en deuxième position au premier tour avec 21% des voix, derrière Dilma Rousseff (36%) mais devant Aecio Neves (20%). Au second tour, elle battrait la présidente sortante avec 47% des suffrages contre 43%. Ces chiffres doivent être pris avec prudence mais ils démontrent au moins que la candidature de Marina Silva a le vent en poupe et qu’elle vient brouiller l’affrontement classique entre la gauche, incarnée par le Parti des travailleurs, et la droite, représentée, comme son nom ne l’indique pas, par le PSDB.
Une personnalité atypique
Comment expliquer cette percée imprévue ? La personnalité atypique de Marina Silva y est pour beaucoup. Cette femme de 56 ans (elle est née en 1958), métisse, originaire d’une famille pauvre de seringueiros (travailleurs dans les plantations d’hévéa) de l’Etat d’Acre, en bordure de l’Amazonie, a été associée naguère aux campagnes du syndicaliste Chico Mendès, assassiné en 1988 par des tueurs à gages au service d’un riche propriétaire pour avoir défendu les droits des seringueiros et combattu pour la sauvegarde de la forêt amazonienne.
Marina Silva n’a jamais cessé d’incarner ce combat qui l’a rendu populaire auprès d’une grande partie de la population, séduite par son intransigeance, sa rectitude et son charisme. Ministre de l’environnement sous le premier mandat de Lula, elle n’a pas hésité à quitter le gouvernement, après avoir lancé avec un certain succès un plan national de lutte contre la déforestation, quand elle s’est sentie lâchée par Lula sous la pression des industriels dont elle contrariait les projets. Elle s’est opposée à l’ouverture de chantiers au nom du développement durable et soutenu notamment le chef indien Raoni dans sa lutte contre le barrage de Belo Monte. Elle s’est souvent heurtée à Dilma Rousseff, alors premier ministre officieux de Lula, sur les questions environnementales.
En 2010, Marina Silva s’est présentée à l’élection présidentielle avec le soutien du Parti Vert. Arrivée en troisième position au premier tour, derrière Dilma Rousseff et son principal concurrent, José Serra, elle n’en a pas moins recueilli près de 20% des voix, un score inespéré face aux candidats des deux grands partis. En 2014, faute d’obtenir l’homologation de son nouveau parti, elle s’est ralliée au PSB en acceptant de faire campagne aux côtés d’Eduardo Campos mais, son audience et sa notoriété allant bien au-delà de celles de ce parti, il n’est pas vraiment surprenant qu’elle fasse mieux que le candidat disparu. Elle bénéficie de la lassitude d’un électorat qui aspire à sortir du traditionnel duel entre le PT et le PSDB, deux partis affaiblis par la corruption et le clientélisme. Marina Silva apporte un nouveau souffle, qui la distingue des élites au pouvoir.
La seule opposition de gauche
La candidate tire aussi une partie de sa popularité de son appartenance à l’Assemblée de Dieu, la plus grande Eglise évangélique du Brésil. Son engagement spirituel la conduit à prendre sur le plan des mœurs des positions conservatrices (elle est fermement opposée à la légalisation de l’avortement) mais il contribue, dans un pays fortement marqué par la religion, à son succès auprès des masses.Ce succès tient surtout à son positionnement politique. Au moment où se développe contre Dilma Rousseff un climat de protestation sociale, marqué par les manifestations qui ont précédé la coupe du monde de football, avant la lourde défaite de l’équipe nationale, Marina Silva représente la seule opposition de gauche au gouvernement. Face à un Parti des travailleurs qui s’est recentré depuis son accession au pouvoir et un PSDB qui rassemble sous le signe trompeur de la social-démocratie les forces conservatrices, la candidate écologiste, devenue socialiste, apparaît à gauche comme la seule qui soit restée fidèle à ses convictions et la mieux placée pour capter l’humeur contestataire du peuple brésilien.