Selon un récent sondage, cité par le New York Times, à peine 2% des Brésiliens voteraient pour l’actuel vice-président, Michel Temer, s’il tentait de se faire élire à la présidence. De plus, si 61% d’entre eux approuvent la procédure de destitution engagée contre la présidente, Dilma Rousseff, ils sont presque aussi nombreux (58%) à souhaiter que cette procédure s’applique aussi à Michel Temer. Au moment où celui-ci se prépare à prendre la succession de Dilma Rousseff, dans l’hypothèse probable où les sénateurs suivraient dans quelques semaines l’avis des députés en faveur de la destitution de la présidente, son impopularité est donc à peine moins grande.
Expert en intrigues parlementaires
Cet homme élégant et discret de 75 ans, élu à la vice-présidence du Brésil en 2010 après avoir présidé, à deux reprises, la Chambre des députés, est soupçonné, comme d’autres personnalités de son parti, le PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien), à commencer par Eduardo Cunha, l’actuel président de la Chambre des députés, à l’origine de la procédure contre Dilma Rousseff, de complicité dans le gros scandale de corruption et de détournement de fonds orchestré par la société pétrolière Petrobras. Paradoxalement, les principaux accusateurs de la présidente sont mis en cause par la justice dans cette vaste affaire de fraude qui est au cœur de la crise politique alors qu’elle-même n’est pas poursuivie dans ce dossier.
Le futur président brésilien est issu d’une famille de Maronites du Liban. Avocat, professeur de droit constitutionnel, il est marié à la jeune Marcela, 32 ans, qui fut naguère Miss Paulinia, du nom de sa ville natale, puis vice-Miss Sao Paulo. Il est surtout le chef de file du PMDB, parti centriste dont le concours est indispensable au Parti des travailleurs, avec lequel il gouverne. Expert en intrigues parlementaires, Michel Temer, dont les relations avec Dilma Rousseff sont exécrables, est un habile manoeuvrier. Il a obtenu des ministres de son parti qu’ils quittent le gouvernement. Appuyé sur un réseau plus ou moins opaque de clients et d’affidés, il a joué un rôle-clé pour affaiblir la présidente qui, dit-il, a choisi de « l’ostraciser » en le tenant à l’écart de son action.
Une bataille politique
Michel Temer, qui a commencé ses consultations pour constituer le prochain gouvernement, se défend d’être « le chef des conspirateurs », comme l’en accusent les partisans de « Dilma ». Il récuse aussi l’appellation de « traître ». Il dénonce l’incompétence de la présidente et affirme que son départ est une condition nécessaire au redressement du pays, miné par la récession et le chômage. De son côté, Dilma Rousseff soutient que le reproche de manipulation des comptes publics qui justifie la procédure engagée contre elle n’est pas un « crime de responsabilité », selon les termes de la Constitution, et qu’il n’est donc pas passible de la sanction demandée par ses adversaires. Les juristes sont divisés sur cette question mais la plupart d’entre eux conviennent que l’accusation lancée contre la présidente n’est que l’habillage juridique d’un conflit politique entre le Parti des travailleurs, au pouvoir depuis 2003, et les diverses factions de la droite.
Dilma Rousseff, qui continue de crier au « coup d’Etat », a profité de son passage aux Nations unies, à l’occasion de la signature de l’accord de Paris sur le climat, pour s’adresser à la communauté internationale. En quelques phrases, elle a rappelé, à la fin de son discours, que le peuple brésilien a su « vaincre l’autoritarisme » et « construire une démocratie robuste ». Elle a affirmé qu’il saurait « empêcher tout retour en arrière » et remercié ceux qui lui ont exprimé leur solidarité dans « ce grave moment que vit le Brésil ». La présidente brésilienne, dont la combativité est intacte, pourrait même demander au Mercosur, le Marché commun sud-américain, la suspension de son pays, en vertu d’une clause qui prévoit une telle sanction en cas de rupture du processus démocratique.
La gauche sud-américaine en recul
La difficile bataille menée par Dilma Rousseff contre une droite animée par une volonté de revanche n’est pas sans écho dans d’autres Etats d’Amérique latine. Presque partout sur le continent la gauche est en recul et la droite aux portes du pouvoir. En Bolivie, le président Evo Moralès a perdu en février 2016 un référendum qui lui aurait permis, en cas de résultat positif, de briguer un quatrième mandat. En Argentine, c’est le candidat de la droite libérale, Mauricio Macri, qui a succédé, en décembre 2015, à Cristina Kirchner. Au Venezuela, le président Nicolas Maduro a essuyé, quelques jours plus tôt, une lourde défaite aux élections législatives. Il pourrait même être menacé de révocation, comme son homologue brésilienne. Au Chili, la popularité de la présidente, Michelle Bachelet, est au plus bas. Au Pérou, la droite, conduite par Keiko Fujimori, est en passe de gagner l’élection présidentielle.
Après la vague social-démocrate qui a déferlé naguère sur le continent, c’est une vague droitière qui semble aujourd’hui emporter les dirigeants de gauche, sur fond de crise économique et de tensions sociales. Aux effets de la paupérisation s’ajoute un climat de corruption généralisée, qui aggrave le mécontentement et tue la confiance. Un avocat et essayiste brésilien, Antenor Batista, vient de publier un livre au titre évocateur : Corruption, le cinquième pouvoir. Au Brésil, en particulier, ce cinquième pouvoir reste un acteur majeur qu’il faut combattre pour rendre leur légitimité au deux premiers, l’exécutif et le législatif, affaiblis l’un et l’autre par la guerre impitoyable qu’ils se livrent.