La dernière victoire de Lula

Dilma Rousseff est élue présidente de la République grâce au soutien indéfectible de son prédécesseur. Il lui faut désormais apprendre à gouverner sans lui.

Le succès de Dilma Rousseff au second tour de l’élection présidentielle au Brésil était attendu. Portée par l’immense popularité de son prédécesseur, Lula, qui s’était engagé pour elle avec ardeur dans la bataille, Dilma Rousseff, sa plus proche collaboratrice à la tête de sa « maison civile », c’est-à-dire au poste officieux de premier ministre, était la favorite des sondages. Peu connue au début de la campagne, elle avait rattrapé son retard sur son principal concurrent, le social-démocrate José Serra. Après l’avoir devancé au premier tour de plus de 14 points (avec 46, 90 % des voix contre 32,61 %), elle conserve au second une confortable avance de 12 points en l’emportant avec 56 % des suffrages (contre 44 % à son adversaire).

Certes elle obtient un score inférieur à celui de Lula, qui avait été élu en 2002 avec 61,3 % des voix et réélu en 2006 avec 60,8 % . Mais elle sort nettement victorieuse d’une campagne difficile, marquée entre les deux tours par les rudes controverses sur la question de l’avortement. Pour Lula, qui ne pouvait plus se représenter après deux mandats consécutifs, l’élection de « Dilma » est incontestablement sa victoire, sa dernière victoire.

Comment expliquer la popularité persistante de Luiz Inacio da Silva, plus connu, comme c’est le plus souvent le cas au Brésil, par son surnom de « Lula » ? Sa personnalité y est pour beaucoup, bien sûr : l’ancien syndicaliste qui s’est hissé au sommet de l’Etat par son talent et sa volonté inspire confiance au plus grand nombre. A la fois aimé des pauvres, dont il est issu, et respecté par les riches, qu’il a su ménager, il maîtrise assez l’art de la communication politique pour donner l’impression d’être au-dessus des partis. La majorité du peuple brésilien se reconnaît dans ce personnage chaleureux et proche des gens.

Les résultats sont au rendez-vous

Mais c’est surtout son bilan qui lui vaut aujourd’hui ce quasi-plébiscite de ses compatriotes. Avec une croissance prévue de 7,3 % en 2010, Lula laisse un pays en bon état, dont les classes moyennes forment désormais plus de la moitié de la population et dont le taux de pauvreté est tombé à 23 %. Lula a hérité des premiers succès économiques enregistrés par son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso, qui avait notamment stabilisé la monnaie et engagé un programme de privatisations, mais il a su continuer et amplifier cette politique.

Les résultats sont au rendez-vous : le Brésil, avec la huitième économie mondiale, est devenu l’une des puissance émergentes de la planète. Il s’est donné les moyens de devenir un acteur-clé, aux côtés de la Chine et de l’Inde, sur la scène internationale. Lula apparaît aux yeux de tous comme l’homme de cette transformation, même s’il n’en pas le seul responsable. Mais il est aussi, sur le plan intérieur, celui qui a sorti de la pauvreté une partie de la population. Il n’a pas seulement augmenté le salaire minimum, il a aussi créé une « bourse famille » qui aide aujourd’hui plus de 12 millions de familles. Réputée pour ses qualités de gestionnaire, Dilma Rousseff a joué un rôle déterminant dans la mise en oeuvre de ces mesures.

Pour Dilma les difficultés commencent

La future présidente (elle entrera en fonctions le 1er janvier 2011) ne dispose pas encore de l’aura dont bénéficie le président sortant, même si son passé de résistante sous la dictature prouve son courage et sa ténacité. Elle entend se placer dans la continuité de son prédécesseur en restant fidèle au pragmatisme de sa politique économique et à la générosité de sa politique sociale. Mais pour elle les difficultés commencent.

Beaucoup reste à faire, en effet, pour que le Brésil tienne les promesses de Lula. La modernisation du système politique, marqué par la corruption et le clientélisme, comme en témoignent les scandales qui ont affecté les deux mandats présidentiels, a été oubliée. La réforme de la fiscalité n’a pas eu lieu. Les investissements dans l’éducation et la santé sont restés faibles. Le plus grand défi pour Dilma Rousseff sera de garder à la fois la faveur des classes populaires et le soutien des élites. On prête à la nouvelle présidente de réels talents de conciliatrice. Elle en aura besoin pour répondre à toutes les attentes.