Le ’’totalitarisme light’’ de Hugo Chavez

A sa deuxième tentative, dimanche 15 février, Hugo Chavez a obtenu le droit de postuler à un nombre illimité de mandats à la présidence du Venezuela. Ce qui ne fait pas de lui, pour autant, un dictateur au sens classique du terme.

Il était évident que le leader bolivarien créerait une base légale à sa volonté de se maintenir au pouvoir car il est lui-même à l’origine de cette « légalité ». Il avait décidé de consulter le peuple autant de fois qu’il serait nécessaire pour étouffer une opposition découragée et obtenir le résultat désiré. Ce deuxième référendum est le genre de consultation qu’adorent les dirigeants autoritaires : une fois gagnée, ils n’en organisent plus. Les partisans du chavisme en Espagne – il en existe – pensaient devoir faire référence aux référendums dans l’Union européenne qui peuvent être renouvelés jusqu’un résultat favorable ou au président colombien Alvaro Uribe qui peut prolonger ses mandats. Pourquoi, disent-ils en irait-il autrement au Venezuela ? Dans les faits, Hugo Chavez est en train de mener le Venezuela sur une voie qui rompt avec le modèle de société existant dans le monde occidental. 

Une victoire sans appel

Certes, le résultat du scrutin, 54% contre 46%, est très net. Au premier référendum de 2007, le projet de Chavez avait été rejeté de justesse. Cette victoire relativise l’issue des élections municipales et régionales du 23 novembre 2008, que les adversaires d’Hugo Chavez avaient considérée comme un camouflet pour le président. L’opposition en est certes sortie renforcée, gardant ou conquérant jusqu’à six Etats sur vingt trois et prenant la mairie de Caracas, mais les partisans du « socialisme bolivarien » se sont imposés dans 80% des municipalités. Et c’est dans ces agglomérations que s’est trouvé le réservoir de voix en faveur de Chavez au référendum. L’opposition, dont la tête pensante est l’ancien guérillero rangé des maquis, Teodoro Petkoff, directeur du quotidien Tal Cual, a reconnu la clarté du résultat mais a dénoncé la mobilisation des organes de l’Etat en faveur du « oui », rendant toute défaite du pouvoir impensable et personnalisant à outrance le scrutin autour du président. Eleazar Díaz Rangel, directeur du journal Ultimas Noticias, un "chaviste" raisonnable et modéré, de passage à Madrid, considérait la victoire acquise avant même le vote. Les partisans de Chavez qui ne lui avaient pas apporté leurs voix lors du premier référendum car ils ne voulaient pas d’un chef d’Etat éternel, se trouveraient cette fois-ci, pensait-il, beaucoup plus directement sollicités par leur leader, qui leur regarderait droit dans les yeux jusqu’à ce qu’ils aient accompli leur devoir.

Dans les municipalités remportées par les « chavistes », l’appareil du parti s’est mis en quatre pour faire monter le pourcentage de « oui » de 49% à 54%, en utilisant, certes, des méthodes peu recommandables et qui restent malheureusement largement pratiquées en Amérique latine. Les marramucias (tricheries), comme on dit au Venezuela, sont bien connues aussi au Mexique où le leader de la gauche mexicaine Andrès Manuel López Obrador, pourrait bien avoir perdu l’élection présidentielle de 2006 du fait de nombreuses irrégularités « officielles » commises par les organes de l’Etat, encore dirigé par le président Vicente Fox.

"Totalitarisme light"

Aujourd’hui, le Venezuela n’est pas une dictature ni Chavez un dictateur. Pinochet et Franco étaient, eux, des dictateurs. Chavez est seulement un « caudillo » qui agit sur la base d’une constitution taillée sur mesure que le peuple a acceptée. Il paraît même impensable que le Venezuela devienne une sorte de second Cuba malgré la tropicale intimité entre La Havane et Caracas. Chavez n’en a pas besoin. D’ici 2012, terme de son mandat présidentiel, il va consolider son système : préservation du strict minimum en matière de pluralisme afin que les partis puissent survivre et d’une certaine capacité d’activité publique de l’opposition, toujours compatible avec les formes d’une apparente démocratie mais dans des conditions où l’antichavisme finira par s’effriter, usé par des efforts stériles pour disputer le pouvoir sans espoir d’y parvenir. Ainsi disparaîtrait la possibilité d’une alternance politique, base de la démocratie occidentale.

Teodoro Petkoff appelle ce système le « totalitarisme light », qui sera peut-être, pendant quelques temps, plus light que totalitaire, car la moitié antichaviste du Venezuela ne va pas disparaître comme par enchantement et il n’est pas sûr qu’il soit aussi facile de maintenir cette forme de gouvernement avec un pétrole à 40 plutôt qu’à 140 dollars le baril.