Le « chavisme » a-t-il un avenir ?

Le renouvellement du mandat d’Hugo Chavez confirme la popularité de la « révolution bolivarienne » mais il ne masque pas les deux impasses du régime : les dérives autoritaires du président et la dépendance excessive du pays à l’égard du pétrole.

La réélection d’Hugo Chavez, le 7 octobre, à la présidence du Venezuela invite à s’interroger sur l’avenir de la « révolution bolivarienne », que porte depuis son arrivée au pouvoir en 1999 le bouillant colonel. L’expérience Chavez suscite, hors des frontières du Venezuela et particulièrement en France, de vives polémiques. Invité du CERI le 10 octobre, l’historien Olivier Bataillon parle d’un « fantasme vénézuélien » et juge aussi « caricaturales » l’accusation de totalitarisme lancée par les uns que les images idylliques diffusées par d’autres. Cette extrême polarisation, dit-il, fait obstacle à la nécessaire « posture critique », qui donne la priorité à l’analyse sur la dénonciation ou sur l’apologie.

Il ne fait pas de doute qu’Hugo Chavez, en totalisant plus de 8 millions de voix et environ 55% des suffrages, a obtenu un beau succès, qui confirme sa solide implantation populaire. Le taux de participation (80 %) a été exceptionnel, prouvant au moins la capacité de mobilisation du régime, dont l’un des principaux mérites, selon le chercheur Olivier Folz, est d’avoir « remis le peuple dans l’arène politique ». Le politologue Olivier Dabène évoque un « vote de reconnaissance ».

Il est vrai aussi que le « challenger » du président sortant, Henrique Capriles, a réussi une bonne performance, avec 6,5 millions des voix et environ 45 % des suffrages, et pris date pour le futur. Il a su rassembler l’opposition autour de son nom et mener une campagne dynamique. Il s’est ensuite montré beau joueur en reconnaissant spontanément sa défaite.

Et maintenant ? Les perspectives des prochaines années ne sont pas seulement obérées par la maladie du chef de l’Etat, sur laquelle est maintenu le plus grand secret, mais aussi par les impasses du régime. Impasse politique : même si le Venezuela n’est pas un pays totalitaire, même si les élections ont eu lieu dans des conditions normales, même si, comme le rappelle Olivier Dabène, des conseils communaux assurent aussi une forme de participation, la démocratie y est pour le moins « incomplète », selon l’expression du politologue Laurence Whitehead, qui parle d’une « démocratie délégative », c’est-à-dire d’une concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République.

Pour Georges Couffignal, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, « Chavez n’a cessé de démolir les faibles institutions pour que tout dépende de la présidence ». Plusieurs ONG, comme Human Rights Watch, Reporters sans frontières,Transparency International, dénoncent les nombreuses atteintes aux droits de l’homme, à la liberté de la presse, à l’indépendance de la justice. Laurence Whitehead compare Hugo Chavez au premier ministre hongrois Viktor Orban, dont le comportement inquiète l’Union européenne. Olivier Bataillon reconnaît « des dérives autoritaires dans la pratique quotidienne du pouvoir ».

L’impasse est également économique. Les programmes sociaux qui ont contribué à la popularité d’Hugo Chavez ne sont rendus possibles que par la manne pétrolière, qui assure l’essentiel des ressources du pays. Mais au lieu d’en profiter pour construire un Etat social, souligne Olivier Bataillon, le régime a pratiqué un « pilotage à vue », gérant dans l’urgence la redistribution par des « missions » ponctuelles. Rien de durable n’a été bâti. Comme le note Olivier Folz, le pouvoir n’a pas cherché à diversifier l’économie, alors qu’il n’en avait les moyens. Il n’a rien fait pour rompre la dépendance du pays à l’égard du pétrole. Certes cette richesse lui a permis de financer, avec un certain succès, la lutte contre la pauvreté, de favoriser l’accès à la santé et à l’éducation. Mais le Venezuela est resté, selon les mots d’un économiste, « totalement et caricaturalement rentier ».

La « révolution bolivarienne » montre ses limites. Mais cette expression a-t-elle vraiment un contenu ? Olivier Bataillon n’hésite pas à la présenter comme un simple « slogan » qui sert d’abord à nourrir la propagande du régime. Il voit « beaucoup de mise en scène » dans l’utilisation de cette formule. Il estime que le « chavisme » n’a pas plus d’homogénéité idéologique que l’opposition. Le mot d’ordre de la « révolution bolivarienne » est à la fois une arme de politique intérieure et un instrument de politique extérieure. La politologue Elodie Brun juge que l’activisme diplomatique d’Hugo Chavez, qui se caractérise par une critique du statu quo international, s’inscrit dans une continuité et que sa principale originalité est « la radicalité de ses postures ». Elle note aussi que les idées et la « rhétorique » bolivariennes ont aujourd’hui moins de succès.

Les défis qui attendent le Venezuela sont nombreux. Hugo Chavez aura-t-il la volonté et la capacité de rétablir une vie démocratique normale dans un pays considéré naguère comme un modèle en Amérique latine ? Saura-t-il et voudra-t-il se donner les moyens de sortir le Venezuela de la dépendance pétrolière ? La percée de l’opposition va-t-il le conduire à se raidir face à la menace que représente désormais Henrique Capriles ou, au contraire, à assouplir ses positions ? Telles sont quelques-unes des incertitudes qui pèsent sur les années à venir.