France-Allemagne : un traité utile s’il est bien appliqué

Le traité franco-allemand signé le 22 janvier à Aix-la-Chapelle traduit les relations „dépassionnées“ entre les deux pays, qu’il appelle à renforcer et à intensifier au moment où l’Union européenne est sous le coup de graves menaces. Il prévoit notamment toute une série de mécanismes et de procédures pour tenir ses promesses. Il peut n’être qu’un document parmi d’autres dans la longue histoire franco-allemande ou se révéler un outil utile si les gouvernements savent bien l’appliquer.

Vers une Assemblée parlementaire franco-allemande ?
www2.assemblee-nationale.fr

De l’enthousiasme, il n’y en avait pas. Comme c’était le cas quand le Traité de l’Elysée fut signé le 22 janvier 1963 – le traité qui reste comme une sorte de „loi fondamentale“ des relations franco-allemandes, grand geste de réconciliation des deux pays voisins après la dernière de toute une série de guerres, la plus meurtrière et la plus criminelle, lancée par l’Allemagne nazie. La cérémonie de signature du Traité d’Aix-la-Chapelle le 22 janvier dans la salle de couronnement de l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle, lieu où se trouvait, il y a 1200 ans, le palais de Charlemagne, ancêtre commun des deux peuples, a été digne et riche en symboles. Mais elle a traduit l’état des relations franco-allemandes d‘aujourd’hui que l’ambassade d’Allemagne à Paris a caractérisées comme étant des „relations dépassionnées“.

Il se trouve que ce „traité de coopération et d’intégration franco-allemand“ voit le jour dans un contexte politique particulier. Il stipule l’engagement des deux pays pour une „Union européenne unie, efficace, souveraine et forte“ au moment où cette Union est menacée – par la sortie du Royaume Uni après 46 ans ; par la montée du nationalisme et de la xénophobie dans beaucoup de pays membres, la France et l’Allemagne inclus, et la popularité „d’hommes forts“ à la dérive vers l‘autoritarisme ; par une mondialisation de l’économie et surtout des finances qui cherchent à échapper aux règlements par l’Union et les Etats dans l’intérêt général au profit des intérêts purement privés ; par une concurrence renouvelée entre grandes puissances, dont l’Europe n’est plus.

Dans ces circonstances, ce traité peut être un outil très utile si nos gouvernements savent bien l’appliquer. Il les appelle à renforcer et à intensifier leurs relations bilatérales explicitement dans le contexte européen, non pas comme une fin en soi —bien que ce soit tout aussi bénéfique— mais pour promouvoir l’intégration européenne qui est en perte de vitesse. Mais ce traité peut aussi, comme tous les traités, s’avérer simplement comme un document parmi d’autres qui ne sert qu’à faire impression.

Un accord parlementaire qui peut changer la donne

Ce nouveau traité, qui ne remplace pas l’ancien, contient trois volets. Et surtout, il est complété par un autre qui a été relativement passé sous silence – l’accord parlementaire franco-allemand, un accord négocié entre l’Assemblée nationale et le Bundestag, qui peut changer la donne en instituant un vrai contrôle, voire un vrai intérêt des élus des deux nations dans la gestion de nos relations par les gouvernements.

L’un de ces trois volets, c’est la définition des buts communs en matière de politiques générales : renforcement de la cohérence de l’Europe, de l’application des principes de l’Etat de droit, de l’engagement pour un marché global soumis à des règles, du multilatéralisme, de la coopération transfrontalière décentralisée. Ce sont des points de référence pour tout gouvernement francais et allemand, actuel et futur. Ce sont des politiques destinées à faire barrage aux développements récents qui sont caractérisés par une dégradation de la cohérence interne de l’Union européenne, par une remise en question des principes de l’Etat de droit, dont l’indépendance de la justice est un des éléments clés, par des „guerres commerciales“, „faciles à gagner“, comme disait le président américain Trump. La France et l’Allemagne s’engagent formellement, malgré tout, à poursuivre la voie de la coopération et de l’intégration à tous les niveaux comme le précise le traité.

A cette fin, les deux pays s’engagent à construire, au niveau européen, une politique commune étrangère et de sécurité efficace, et à approfondir l’union économique et monétaire. Ils souscrivent à l’obligation de se coordonner davantage pour rendre l’Europe capable d’agir, pour créer un partenariat plus étroit entre l’Europe et l’Afrique, et pour faciliter des prises de position communes au sein de l’ONU. Au niveau purement bilatéral, les gouvernements s’engagent à soutenir l’engagement de la société civile, à promouvoir l’apprentissage de la langue de l’autre et la coopération transfrontalière entre entités locales et régionales, la coopération étroite dans les domaines du climat et de l‘énergie, de l‘environnement et des innovations technologiques.

Affronter ensemble les défis d’aujourd’hui

Tout cela veut dire que les deux pays s’obligent mutuellement à affronter ensemble tous ces défis sociétaux d’aujourd’hui. C’est, donc, avant tout, la reconnaissance de l’interdépendance économique et sociétale approfondie de nos deux pays – interdépendance probablement sans égale entre deux pays voisins de statut comparable, celui d’une puissance moyenne avec des intérêts globaux. Et c’est la promesse affichée de ne pas suivre le chemin qu’ont pris d’autres en faisant „cavalier seul“. Ce volet là est une grande promesse.

Un deuxième volet contient des projets concrets, en particulier dans le domaine de la coopération transfrontalière. Ici, des deux bords du Rhin et de la Forêt palatine, la coopération au niveau local et régional s’est développée à grands pas, mais elle se heurte toujours à une multitude d’obstacles administratifs et légaux, que le nouveau traité cherche à surmonter. Ainsi, ce traité cherche aussi à faciliter la coopération bilatérale au quotidien afin que les citoyens puissent reconnaître les avantages mutuels que cette coopération peut apporter.

Cela concerne, d’une part, les systèmes d’éducation des deux pays, qui seront invités à chercher des moyens pour mieux se coordonner, à créer des structures permettant de financer des projets communs dans la recherche, l’éducation scolaire et académique, la formation professionnelle. Cela concerne aussi la promotion des efforts de coordination des approches et de la pratique dans l’amélioration de la mobilité transfrontalière, des réseaux routiers et ferroviaires, mais aussi digitaux. Et cela concerne la volonté des deux pays de se coordonner étroitement dans le domaine environnemental, par l’application des accord de Paris sur le climat, le changement de cap dans la production, la consommation et l’approvisionnement d’énergie.

L’avenir de la centrale de Fessenheim

Ici, du côté allemand, on attend, entre autres, une coopération réelle et sérieuse dans la mise hors service de la centrale nucléaire de Fessenheim et la reconversion de cette installation au bord du Rhin. On voit tout de suite que la poursuite de tels projets concrets, pratiques au niveau local et régional, implique beaucoup de questions compliquées, parfois hautement sensibles, épineuses. Et les gouvernements ne sont pas les seuls à être sollicités, loin de là, pour gérer ces affaires. Ce volet propose des tas de projets utiles pour les régions frontalières, pour la vie quotidienne de leurs citoyens. C’est un volet de travail.

Un troisième volet se révèle comme étant essentiel pour le succès durable de ce travail, qui est entrepris pour tenir les grandes promesses. Il crée des mécanismes, des procédures, des organisations dont la tâche principale est de réussir cette coopération dense et généralisée. Le Conseil des ministres franco-allemand, qui existe déjà, est désormais appelé à établir un plan pluriannuel avec des projets concrets à poursuivre. Ainsi, un mécanisme de planification de projets est établi qui oblige les deux gouvernements à suivre l’évolution des projets de près, à les revoir si nécessaire, et à en définir d’autres si un projet est achevé.

Comprendre la „culture politique“ de l’autre

Tous les trois mois, un ministre d’un gouvernement va participer à la réunion du Conseil des ministres de l’autre. Cela n’a peut-être l’air de rien, mais cela peut créer une habitude bien utile si les responsables politiques veulent bien comprendre la „culture politique“ de l’autre. Ceci est bien nécessaire, car des organisations communes créés il y a 30 ans déjà n’ont pas vraiment eu d’impact, par manque justement de compréhension. Le Conseil de sécurité et de défense franco-allemand(CSDFA/DFSVR) par exemple, qui existe depuis 1988, est désormais chargé de gérer la coopération politique en la matière ; un mandat qu’il n’avait pas avant et qui l’oblige maintenant à comprendre et à tenir compte des différences pour les surmonter, au lieu, tout simplement, de les constater et de les regretter ou d’éviter d’en parler.
Encore faut-il voir ce que cela veut dire concrètement dans la pratique bureaucratique.

Le Conseil économique et financier franco-allemand, qui existe aussi depuis 1988, aura la tâche de préparer l’harmonisation du droit économique pour arriver à créer un espace économique franco-allemand où les mêmes règles s’appliquent ; un projet extrêmement ambitieux. Il sera complété par un „conseil franco-allemand d’experts économiques“ qui sont appelés à donner des recommandations aux deux gouvernements en vue d’une convergence de leur politiques économiques, qui reste difficile.

Un comité de coopération transfrontalière va être créé, comprenant des représentants des collectivités locales et régionales. C’est à ce niveau là que les administrations doivent pouvoir se coordonner et adapter leurs règles nationales au profit des coopérations qu’elles jugent utiles. Un „forum pour l’avenir franco-allemand“ va accompagner et coordonner les activités dans le domaine des nouvelles technologies et des innovations. Enfin, un „fonds citoyen commun“ devrait faciliter et soutenir l’engagement de la société civile dans les deux pays.

Un programme de coopération ambitieux

Ce traité crée donc une multitude d’organisations, renforce et précise les responsabilités d’autres afin qu’elles puissent réaliser ce programme de coopération ambitieux. Il est d‘autant plus important que ces organisations soient encouragées à jouer leurs rôles activement, indépendamment des couleurs politiques des gouvernements en place, qu’elles soient soutenues par toutes les structures politiques ainsi que la société civile dans les deux pays.

C’est pour cela, finalement, que l’accord parlementaire sera si important. Ce sont les deux Parlements qui, dans une résolution commune votée le 22 janvier 2018, à l’occasion du 55e anniversaire du Traité de l’Elysée, avaient demandé aux gouvernements de renouveler ce traité qui „aura vocation à prolonger le traité originel et approfondir notre partenariat.“ Mais le rôle des parlements demande à être développé. Le nouveau traité tout simplement „reconnaît“ l’importance des parlements et il oblige les secrétaires généraux pour la coopération fanco-allemande, qui évaluent régulièrement les progrès accomplis, à „informer les parlements“ – sans plus.

Or, l’Assemblée nationale et le Bundestag se sont mis d’accord pour créer une „Assemblée parlementaire franco-allemande“ qui se compose de 100 membres, 50 membres de chaque chambre. Elle sera présidée par les deux présidents des parlements nationaux. Et elle siège au moins deux fois par an publiquement. Elle sera compétente pour veiller à l’application du traité de l’Elysée et de celui d’Aix-la-Chapelle et à suivre toutes les activités des différents conseils. C’est devant cette Assemblée franco-allemande que les deux gouvernements doivent rendre compte régulièrement de l’avancement de la mise en oeuvre des décisions prises par ces conseil. Le bureau de cette Assemblée commune est aussi chargé d’établir un rapport annuel sur la coopération parlementaire qu’il est appelé à présenter devant l’Assemblée nationale et le Bundestag. Les commissions des deux parlements sont également encouragés à établir une coopération étroite.

Si les deux Parlements prennent au sérieux cet accord, ils peuvent contribuer à faire de cette coopération franco-allemande une vraie affaire d’amitié et de confiance, à la rendre transparente à tous les niveaux et à l’élever au dessus des intérêts d’experts. Ils peuvent également démontrer le caractère démocratique et exemplaire de cette coopération entre deux nations qui resteront ce qu’elles sont – des nations anciennes et respectueuses de leurs traditions, reconnaissant leurs forces et leurs faiblesses, tout en s’unissant pour défendre leurs valeurs dans un monde en bouleversement.