François Heisbourg recommande la fin de l’euro

François Heisbourg, ancien directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, estime que l’abandon de la monnaie unique est la seule manière de sauver l’Union européenne au moment où l’euroscepticisme progresse dans les opinions publiques.

Conseiller spécial auprès de la Fondation pour la recherche stratégique, un centre de recherches qu’il a dirigé de 2001 à 2005, François Heisbourg préside deux autres « think tanks », l’un à Londres, l’Institut international pour les études stratégiques, l’autre à Genève, le Centre de politique de sécurité. Cet expert reconnu dans le domaine des affaires internationales est aussi, il le dit lui-même dans son dernier livre, La fin du rêve européen (Stock), « un Européen convaincu » et même un partisan d’une Europe fédérale. Dans ses différentes fonctions, il n’a cessé de défendre la cause de l’Europe. Il a voté « oui », rappelle-t-il, aux référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et sur le traité constitutionnel en 2005.

Or voici que cet ami de l’Europe lui propose aujourd’hui d’abandonner la monnaie unique, l’un de ses plus beaux fleurons et l’un des principaux marqueurs de sa vocation fédérale. En annonçant « la fin du rêve européen », ne constate-t-il pas l’échec du projet européen, dont la disparition de l’euro serait en quelque sorte la confirmation ? Non, répond-il dans un entretien à Fréquence protestante, samedi 15 février, la fin du rêve européen ne signifie pas la mort de l’idée européenne mais le nécessaire retour à la réalité. Le projet européen, explique-t-il, doit dorénavant s’ancrer dans le réel. Il n’est plus le « mythe mobilisateur » qu’il était au début de la construction européenne. Les Européens doivent en prendre acte en acceptant de se remettre en cause.

L’impossible bond en avant fédéral

L’auteur cite volontiers un apologue de l’ancien ministre allemand des affaires étrangères Joschka Fischer. Lorsque vous êtes au milieu du gué, disait celui-ci, si vous voulez éviter d’être emporté par les tourbillons, vous avez le choix entre deux solutions : soit vous retournez en arrière pour mieux reprendre votre élan soit vous faites un bond en avant pour tenter de gagner l’autre rive. Le retour en arrière, selon François Heisbourg, c’est l’abandon de l’euro, seul moyen de sauver l’Union européenne. Le bond en avant, ce serait le passage au fédéralisme, politiquement impensable aujourd’hui dans une Europe devenue eurosceptique.

N’y aurait-il pas une troisième voie, celle des petits pas, qu’emprunte l’Union européenne depuis la crise financière ? Non, affirme-t-il, la politique des petits pas ne nous permet pas de quitter le milieu du gué où nous avons toutes les chances de nous noyer. Que pense-t-il des récentes propositions adressées par François Hollande à Angela Merkel ? Il les juge irréalistes. Il ne croit pas qu’un accord soit possible entre la France et l’Allemagne sur une politique commune de l’énergie ni sur une harmonisation de la fiscalité des entreprises. Quant à la mise en place d’une Europe de la défense, elle pose le problème du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, qu’il redoute.

La moins mauvaise des solutions

Pour François Heisbourg, le sacrifice de l’euro est le seul moyen de sortir de l’impasse. La monnaie unique, dit-il, au lieu d’unir les Européens, ne fait que les diviser. Economiquement, en opposant les pays du Nord, qui surnagent, à ceux du Sud, qui subissent une dépression. Socialement, en provoquant une « divergence phénoménale » des taux de chômage, qui baissent en Allemagne et s’envolent presque partout ailleurs. Politiquement, en suscitant la défiance à l’égard de l’Union européenne et le « déchaînement des égoïsmes ». Si l’Europe ne met pas fin, d’une manière apaisée et concertée, à la monnaie unique, elle n’a le choix qu’entre trois solutions : continuer une politique d’austérité qui, tôt ou tard, peut conduire à des drames ; accepter l’éclatement de la zone euro au prix d’un krach financier catastrophique ; ou aller vers un impossible fédéralisme.

Il existe quelques précédents dans l’histoire, dont deux méritent d’être mentionnés : le « divorce de velours » de la Tchécoslovaquie en 1992-1993, qui a conduit au retour des monnaies nationales ; et le passage du cruzeiro au réal au Brésil en 1994, « sans drame ni queue au guichet des banques ni scandale d’initiés ». La disparition de l’euro n’est pas une solution « géniale », note François Heisbourg, mais elle est la moins mauvaise de toutes, de même que la démocratie, selon Churchill, est le plus mauvais système à l’exception de tous les autres. Elle nous ferait revenir à la situation d’il y a vingt ans, lorsque les monnaies nationales devaient respecter des marges de fluctuation. Elle redonnerait de la souveraineté monétaire, limitée mais réelle, aux pays membres de la zone euro. Certes une monnaie affaiblie comporte beaucoup d’inconvénients, mais moins qu’une politique qui entraîne un fort taux de chômage. Aucun Etat européen n’est, à ce jour, porteur d’une telle initiative. Il n’y a que la France et l’Allemagne ensemble qui puissent la prendre, conclut François Heisbourg.