Ingrid Betancourt : de l’émotion à la raison

L’émotion suscitée par la libération d’Ingrid Betancourt et de ses compagnons de captivité a été d’autant plus intense que l’otage franco-colombien était devenu pour l’opinion un formidable symbole de la liberté outragée. Que l’incontournable mise en scène médiatique ait encore amplifié cette émotion jusqu’à cultiver à l’excès le pathos n’enlève rien à l’authenticité de ces sentiments. Ils sont parfaitement légitimes. Encore ne faut-il pas ignorer les aspects politiques de cette libération et les considérer froidement au delà de toute polémique

Rendons à César ce qui revient à César. Nicolas Sarkozy, dès son arrivée à l’Elysée, s’est emparé du dossier Ingrid Betancourt avec toute l’énergie et la détermination qui le caractérisent et qui font que le président français n’abandonne jamais aussi longtemps qu’il n’a pas atteint l’objectif qu’il s’est assigné.

Les efforts qu’a déployés le chef de l’Etat à la suite de son prédécesseur ont eu un triple effet. Ils ont incontestablement contribué à maintenir la préoccupation de la libération des otages au cœur de l’actualité. Les démarches entreprises auprès du président vénézuélien Hugo Chavez ont entretenu une pression internationale qui n’est pas étrangère à l’heureux dénouement. La mobilisation de l’Elysée a été essentielle pour soutenir le moral de la famille d’Ingrid Betancourt.

Mais il faut convenir aussi que c’est la politique d’intransigeance du président Uribe qui a payé et l’opération audacieuse des militaires colombiens qui a permis la libération d’Ingrid Betancourt. A l’inverse, la voie de la négociation privilégiée par la France n’a pas donné les résultats espérés.

Il faut encore noter que l’Administration américaine était pour toute la moins informée de cette opération d’infiltration militaire alors que les services français n’en savaient rien et que ce sont leurs homologues israéliens qui ont apporté un soutien technique à ce qui s’est révélé un coup de maître.

Tirant les conséquences de ces événements Paris devra s’interroger sur ses choix stratégiques. Il convient sans doute de parler avec tout le monde. Mais ce principe diplomatique ne vaut pas pour toutes les situations. En l’occurrence, les FARC appartiennent d’avantage aujourd’hui à la catégorie des " brigands", pour reprendre l’expression du président Uribe, qu’à celle des révolutionnaires.

Il faudra aussi à l’avenir faire la lumière sur la faiblesse avérée des services français. Outre le fiasco de l’opération de Villepin en 2003, ceux-ci ont ignoré la mort du leader des FARC en mars dernier, laissant le président français lancer un nouvel appel à Manuel Marulanda pourtant décédé quatre jours auparavant.

L’heureuse libération d’Ingrid Betancourt reste néanmoins une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Elle lui vaut la reconnaissance tout à fait méritée des otages et de leur famille et sans doute aussi celle de l’opinion publique française - comme on pourra probablement le vérifier dans les jours à venir, car il n’a pas ménagé sa peine. Elle est bienvenue politiquement car le président de la République a enregistré ces derniers jours, du moins sur le terrain européen, davantage de déconvenues que de succès.