Tour à tour trois responsables allemands ont annoncé une inflexion de la politique de sécurité du pays. Le président Joachim Gauck a profité de la Conférence de Munich sur la sécurité pour inviter ses compatriotes à rompre avec l’inaction de ces dernières années dans les conflits régionaux. Les risques à ne rien faire sont plus graves que les conséquences de l’action, a-t-il dit. Il a réfuté le double argument derrière lequel les Allemands ont tendance à se réfugier pour justifier leur « retenue » dans le domaine militaire : l’histoire tragique du XXème siècle et leur bien-être actuel.
Ursula von der Leyen, la première femme ministre de la défense en Allemagne, a tenu des propos similaires : « L’indifférence n’est pas une option », a-t-elle déclaré. Quelques jours plus tôt dans le magazine Der Spiegel, elle avait annoncé : « L’Allemagne ne peut pas regarder ailleurs » (quand des tragédies ont lieu aux portes de l’Europe). Enfin le nouveau ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, s’est dit convaincu que les Allemands ne pouvaient se contenter de « commenter » mais qu’ils devaient être prêts « à intervenir plus vite et de façon plus substantielle ».
Le ton est nouveau par rapport à la politique défendue par le gouvernement précédent. L’ancien ministre des affaires étrangères (libéral), Guido Westerwelle, prônait une « retenue militaire ». Il n’avait pas été pour rien dans la décision de Berlin de ne pas participer à l’intervention en Libye en 2011 contre le régime de Kadhafi. La chancelière Angela Merkel ne l’avait pas contredit et elle s’est bien gardée de s’associer au nouveau ton de ses nouveaux ministres de la grande coalition.
Les soldats allemands sont présents dans les forces internationales dans les Balkans et en Afghanistan mais tout se passe comme si cette participation était la suite d’une politique décidée avant l’arrivée d’Angela Merkel au pouvoir en 2005, par les sociaux-démocrates et les Verts. Cette politique était le fruit d’une longue évolution commencée après a réunification de l’Allemagne. Les yeux rivés sur les sondages qui montrent qu’une majorité de l’opinion est hostile aux interventions à l’étranger, le précédent gouvernement des chrétiens-démocrates et des libéraux avait donné l’impression de revenir dix ans en arrière.
Le paradoxe est que dans le même temps la Bundeswehr, qui a été longtemps une armée de conscription – des « citoyens en uniforme » – était réformée et professionnalisée afin d’être en mesure de mieux participer à des opérations de maintien voire de rétablissement de la paix aux côtés de ses alliés. Selon le mot d’un expert, la Bundeswehr était devenue « déployable mais inemployable » tellement les limites politiques posées à un engagement extérieur étaient strictes.
Ces limites n’ont pas disparu. La principale est que, contrairement à la situation française, toute participation de la Bundeswehr à des opérations extérieures est soumise à l’approbation du Bundestag. La Bundeswehr est « une armée parlementaire ». C’est ainsi que la présence allemande en Centrafrique ne devrait pas aller au-delà de la mise à disposition d’un avion-hôpital. Au Mali, le nombre des soldats allemands pourraient passer de 180 à 250, le plafond autorisé par le Bundestag, mais pas au-delà. Encore s’agit-il essentiellement de formateurs pour l’armée malienne et de leur protection.
La nouvelle tonalité entendue à la Conférence de Munich ne va pas se traduire du jour au lendemain par une forme d’activisme. François Hollande devra encore s’employer à convaincre la chancelière que, comme le dit Ursula von der Leyen elle-même, l’Europe et l’Afrique ne sont séparées que par 14 km ! Toutefois un verrou est peut-être en train de sauter vers une politique de défense européenne commune.